À partir du XVIIIe siècle : la naissance de l’économie politique
Ceci est un article issu de livre L'essentiel de l'histoire économique publié en 2017 par Arnaud Labossiere.
Les grands concepts mercantilistes
Le mercantilisme est une doctrine selon laquelle l’accumu-lation d’or et d’argent à l’intérieur d’un royaume est à l’origine de la prospérité à la fois de la nation et de l’État. Les mercantilistes sont par conséquent favorables au dirigisme et au protectionnisme.
Les mercantilistes français cherchent à enrichir le royaume grâce à l’activité commerciale et industrielle. Jean BODIN (1529-1596) et Antoine de MONTCHRESTIEN (1575-1621) sont deux grands noms de ce courant. On doit au premier l’expression « il n’est de richesse que d’homme ». La figure clé du mercantilisme français est cependant le fameux ministre de Louis XIV, Jean-Baptiste COLBERT (1619-1683), qui déclarait : « Il faut rétablir ou créer toutes les industries, même de luxe, établir un système protecteur des douanes, organiser les producteurs et les commerçants en corporations, développer les colonies et les attacher commercialement à la France ».
Avec le « colbertisme », l’État intervient dans l’économie. Il réglemente beaucoup, soutient la natalité, contribue à la création de manufactures et développe les compagnies de navigation et les chantiers navals.
Le mercantilisme espagnol, ou mercantilisme « bullioniste » (en référence à l’anglais bullion, qui signifie « lingot d’or ») s’appuie sur les métaux précieux rapportés d’Amérique latine par les galions pour s’enrichir. Mais cet enrichissement est stérile, car les puissances ibériques n’ont pas su le transformer en investissements.
Il est aussi un mercantilisme britannique, lequel accorde une plus grande place au secteur marchand et aux industriels qu’en France. Il a notamment été théorisé par David HUME (1711-1776) et William PETTY (1623-1687).
Les grands concepts physiocratiques
La physiocratie est un courant apparu en France, dans les années 1750-1770, en réaction au mercantilisme. Il prend son essor avec le médecin et économiste François QUESNAY (1694-1774) dont les deux œuvres principales sont son Tableau économique (1758) et La Physiocratie (1768).
Le libéralisme économique en est la principale revendication. Les physiocrates réclament la liberté de commerce et dénoncent les contraintes de la présence de l’État. Vincent de GOURNAY (1712-1759) donnera au courant son slogan en déclarant « laissez-faire, laissez-passer ». En 1774, le ministre des Finances TURGOT (1727-1781) tente de rétablir la liberté du commerce pour les céréales entre les régions, de réformer l’État et de faciliter l’activité de producteur – en vain.
L’agriculture est considérée comme l’unique source de richesse. En effet, la physiocratie signifie étymologiquement « pouvoir de la nature ». MIRABEAU (1749-1791) résumera cette philosophie avec la célèbre formule « la terre est mère de toutes les richesses ». QUESNAY propose dans son Tableau économique une première représentation macroéconomique de l’activité en divisant la population en trois classes : la classe productive (les paysans), la classe des propriétaires (les seigneurs et les propriétaires fonciers) et la classe dite « stérile » (qui travaille dans les autres secteurs).
Les grands concepts de l’école classique
Adam SMITH (1723-1790) marque avec ses Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations (1776) la naissance d’un courant de pensée communément baptisé « classique », et dont les autres figures dominantes sont le Français Jean-Baptiste SAY (1767-1832), et les Britanniques David RICARDO (1772-1823), Thomas Robert MALTHUS (1766-1834) et John Stuart MILL (1806-1873). Avec la théorie classique, la doctrine libérale prend forme en même temps que le capitalisme s’affirme. Elle a exercé tout au long du XIXe siècle une influence considérable et a trouvé d’importants prolongements auprès des économistes dits « néoclassiques ».
La « main invisible » est le concept majeur des classiques. Pour Adam SMITH, qui en est à l’origine, les initiatives individuelles se conjuguent pour mener à la prospérité générale. Chacun, en cherchant rationnellement son intérêt particulier, contribue à l’intérêt général. En voulant s’enrichir, le producteur augmente sa production et répond soigneusement aux besoins des consommateurs. Le père de l’économie écrit ainsi :
« Tout en recherchant son intérêt personnel, il travaille de manière bien plus efficace pour l’intérêt de la société que s’il avait réellement pour but d’y travailler. En cela, il est conduit par une main invisible à remplir une fin qui n’entre nullement dans ses intentions ». (Livre IV, Chapitre II).
La loi des débouchés de Jean-Baptiste SAY (Traité d’économie politique, 1803) entérine la confiance dans le marché. Selon cette loi, c’est l’offre qui crée la demande. Quand un producteur augmente le volume de sa production, il emploie plus de travailleurs et a davantage recours à ses fournisseurs. Ainsi, en produisant davantage, il développe la demande par les revenus qu’il distribue. Dans une telle perspective, la possibilité d’une crise globale et durable est écartée, car une crise ne pourrait être que la conséquence d’un engorgement sectoriel.
Les « avantages absolus » et les « avantages comparatifs » sont deux théories du commerce international qui militent en faveur du libre-échange. Avec la théorie des avantages absolus, Adam SMITH propose une division du travail entre les pays dans laquelle chaque pays se spécialise dans la production où il a un coût du travail plus faible que les autres. Mais qu’arrive-t-il si un pays n’a aucun avantage absolu sur les autres ? David RICARDO répond à ce problème avec la théorie des avantages comparatifs, selon laquelle un pays doit se spécialiser dans la production où il est le plus productif par rapport aux autres de ses productions, et cela indépendamment de la productivité des autres pays.
La théorie des rendements décroissants exprime le pessimisme d’une partie des économistes classiques. David RICARDO estime ainsi qu’à mesure que la production augmente, le rendement (la productivité) décroît. Cette théorie s’établit à partir de l’exemple de l’agriculture. Les meilleures terres étant déjà mises en culture, les nouvelles terres qui pourraient être cultivées sont nécessairement moins fertiles que les terres existantes – leur mise en culture fait donc décroître le rendement total de la production.
Les classiques conçoivent par conséquent l’existence d’un état stationnaire : il existerait un niveau de production à partir duquel il n’y aurait plus de possibilité de progrès économique ni d’accroissement de la richesse. David RICARDO identifie cependant deux moyens de repousser cette limite : le commerce international et le progrès technique.
Robert Thomas MALTHUS (Essai sur le principe de population, 1798) amène la perspective des rendements décroissants jusqu’à ses dernières conclusions. Il s’inquiète en effet de la discordance entre la progression géométrique (c’est-à-dire par multiplications successives) de la population et la progression arithmétique (c’est-à-dire par additions successives) des subsistances. Une telle situation devrait inévitablement conduire à une véritable catastrophe alimentaire, voire à la famine généralisée.
Sur le plan monétaire, les classiques défendent la neutralité de la monnaie. Selon cette théorie, la monnaie n’a pas un rôle actif dans l’économie, car elle constitue un simple intermédiaire des échanges et un étalon de valeur. Jean-Baptiste SAY utilise à ce sujet une formule célèbre : « La monnaie est un voile », car « les produits s’échangent contre des produits ». On qualifie souvent cette analyse d’« approche dichotomique », comme s’il existait deux mondes distincts : l’économie réelle et l’économie monétaire.
Les vertus de l’épargne font également partie des dogmes des classiques. Pour ceux-ci, et en particulier chez Adam SMITH, l’épargne est une condition sine qua non de la création de richesse : « L’industrie de la société ne peut augmenter qu’autant que son capital augmente, et ce capital ne peut augmenter qu’à proportion de ce qui peut être épargné peu à peu sur les revenus de la société » (Livre IV, Chapitre II). Il en découle que la consommation ne peut avoir qu’une place secondaire dans leur analyse.
Unis sur bien des points, les classiques sont pourtant divisés par le débat sur la valeur.
Pour Adam SMITH, la valeur revêt différentes dimensions :
§ la valeur d’usage, tout d’abord, c’est-à-dire l’utilité que chacun confère à un bien et qui détermine le prix que chacun est prêt à payer ;
§ la valeur d’échange, ensuite, par laquelle le prix se détermine en fonction de l’abondance et de la rareté ;
§ la valeur travail, enfin, c’est-à-dire la quantité de travail nécessaire à la production.
En pratique, la valeur est une combinaison de ces trois dimensions. SMITH distingue ainsi des situations dans lesquelles tel ou tel type de valeur est prédominant.
Pour sa part, David RICARDO met en avant la valeur travail, car le travail est dans son optique ce qui transforme la matière, le seul véritable facteur créateur de richesses : « Toutes les marchandises sont le produit du travail ». Il distingue dans son analyse différents types de biens, selon qu’ils sont reproductibles ou non. Pour les biens non reproductibles, qui sont par exemple « des tableaux, des statues, des livres et des médailles », il y a bien une valeur d’échange déterminée par la rareté qui détermine leur prix. En revanche, les biens reproductibles, lesquels peuvent être produits en grande quantité selon la demande, ont une valeur déterminée par le travail qu’ils incorporent, c’est-à-dire l’effort physique et intellectuel humain nécessaire à leur fabrication.
Il distingue d’autre part le travail direct et le travail indirect. Le travail direct est celui qui est immédiatement utilisé pour produire un bien ou un service ; il entre directement dans la production du bien ou du service, tandis que le travail indirect est préalablement incorporé dans le capital productif.
Les socialistes utopiques
Les socialistes dits « utopiques » sont des auteurs du XIXe siècle qui s’opposent au capitalisme. Ils réfléchissent à la constitution d’une société alternative fondée sur la coopération et l’entraide.
SAINT-SIMON (1760-1825) avance dans Du système industriel (1822) qu’il faut confier les rênes de la société aux intellectuels (mathématiciens, ingénieurs, artistes, etc.) parce qu’ils détiennent de réelles compétences qui leur permettront de réorganiser la société dans la perspective de la paix et de l’harmonie. Charles FOURRIER (1772-1837) propose de créer une société collaborative, appelée phalanstère, composée de communautés de 1 600 habitants libres et complémentaires.
Pierre-Joseph PROUDHON (1809-1865) considère que la propriété privée est foncièrement injuste du fait qu’elle est contraire à l’égalité et qu’elle permet de toucher un revenu sans travailler. Dans Qu’est-ce que la propriété ? (1840), il écrit la fameuse formule : « la propriété c’est du vol. ». Il rêve aussi d’une société composée de communautés solidaires qui s’échangent des services, ce qui fait de lui le créateur de la mutualité.
Robert OWEN (1771-1858) est un entrepreneur industriel qui croit dans les bénéfices de l’éducation, en vertu de quoi il chercha à améliorer les conditions de vie des ouvriers. Il réussit à convaincre les gouvernements de mettre en œuvre des réformes sociales. En 1824, il tente de créer un village coopératif baptisé New Harmony aux États-Unis, mais c’est un échec. Il sera à l’origine de la création du premier grand syndicat anglais, le Great Consolidated Trade Union, en 1834.
Les grands concepts de MARX et des marxistes
Le marxisme commence naturellement avec les écrits de Karl MARX (1818-1883). Parmi ses ouvrages célèbres, on peut citer : L’Idéologie allemande (1848), Le Manifeste du parti communiste (1848) et Le Capital (publié entre 1867 et 1894). Comme beaucoup des théoriciens du XIXe siècle, il tente de mener une analyse historique de la société et, en même temps, de trouver un sens de l’Histoire, c’est-à-dire une forme de Providence.
Telle est la démarche qui l’amène à identifier le régime économique de son époque comme un ordre capitaliste devant être dénoncé comme inégal et injuste, et devant à ce titre prendre fin. Il rompt ainsi totalement avec les classiques qui prônaient la légitimité du marché. Le marxisme est au contraire fondamentalement activiste : MARX participe en 1864 à la création de la Première Internationale, laquelle dure jusqu’en 1872. Déjà à partir des années 1850, ses théories se diffusent dans les milieux ouvriers, où elles commencent à conquérir un grand nombre d’adeptes en France, en Allemagne, et en Russie. Le mode de production et la lutte des classes sont les deux concepts centraux identifiés par MARX dans la dynamique de l’Histoire : « L’histoire de toute société jusqu’à nos jours, c’est l’histoire de la lutte des classes. » (MARX et ENGELS, Le Manifeste du Parti communiste, 1848).
Dans la vision du philosophe allemand, l’ordre économique est évolutif et il est toujours caractérisé par un mode de production. C’est un type d’organisation économique déterminée par la nature de la propriété des moyens de production, ainsi que par la manière dont s’accumule et se répartit la richesse. L’Histoire a été la succession de trois grands modes de production principaux : le communisme primitif (où les hommes partageaient les richesses), puis le féodalisme (caractérisé par l’opposition entre seigneurs et paysans), et enfin le mode de production capitaliste. Ces différents modes de production sont également marqués par l’inégalité, l’affrontement entre les classes dominantes et les dominées, entre les propriétaires des moyens de production et les travailleurs.
Pour MARX, le moteur de l’histoire réside dans la lutte des classes. Le capitalisme est marqué par la lutte fondamentale entre la bourgeoisie et le prolétariat exploité. Cette lutte doit aboutir au renversement de la bourgeoisie à travers la révolution pour amener à une étape intermédiaire, le socialisme inférieur, puis au socialisme supérieur ou communisme. Cette étape de transition s’accompagne de la dictature du prolétariat. Elle est marquée par la disparition de la propriété privée dans la collectivisation des moyens de production. Vient ensuite le communisme, dans lequel l’État et les inégalités n’existent plus : « Alors la société pourra écrire sur ses bannières : de chacun selon ses capacités, à chacun selon ses besoins ».
L’analyse marxiste introduit les concepts d’infrastructure et de superstructure. L’infrastructure est liée à la production, au rapport de production et aux conditions de travail, tandis que la superstructure correspond à l’État, aux lois, à la religion ou encore à la morale. L’infrastructure détermine la superstructure, puisque c’est la base matérielle de la société qui est à l’origine de son système politique et de son idéologie. L’État n’est donc pas neutre : il est au service de la bourgeoisie.
Le travail est inévitablement source d’exploitation. Il est tout d’abord, pour MARX, la seule source de richesse. Reprenant la théorie de la valeur travail de David RICARDO, il distingue le travail vivant (ouvrier) et le travail mort (le capital). Il estime qu’il n’y a pas de correspondance entre la valeur créée par le travail de l’ouvrier et son salaire, car le travailleur ne reçoit qu’une petite fraction de la valeur créée, tandis que le capitaliste accapare le reste sous forme de plus-value. Ce travail non rémunéré, ou surtravail correspond à une exploitation du travailleur. C’est l’origine du conflit entre le prolétariat et les capitalistes. Par ailleurs, le machinisme renforce l’aliénation du travailleur.
Les contradictions fondamentales du capitalisme annoncent sa fin en tant système. La première contradiction est l’appauvrissement des prolétaires, en raison duquel les capitalistes vont avoir de plus en plus de mal à écouler leur marchandise. Dès lors, une crise de surproduction les menace.
Une deuxième contradiction est la baisse tendancielle du taux de profit. Pour l’expliquer, il faut partir de la distinction entre le capital constant (l’outil de production : les machines, les locaux, les stocks) et le capital variable (la masse salariale). Le capitaliste dégage un profit (plus-value/capital) qui s’obtient seulement à partir du capital variable. Or, MARX constate une modification de la composition organique du capital : la partie variable diminue et la partie constante augmente. En d’autres termes, le machinisme mène à substituer du capital au travail, ce qui à terme fait baisser le profit.
Par la combinaison de la baisse du taux de profit et de la paupérisation des masses, le capitalisme est voué à aller de crise en crise jusqu’à la crise finale : « le grand soir ».
Enfin, l’internationalisation du capitalisme a été pensée à travers le courant de l’impérialisme, issu du marxisme, dont les théories principales sont dues à LÉNINE (1870-1924), Rosa LUXEMBURG (1871-1919) et Rudolf HILFERDING (1877-1941). Leur point de départ est que le capitalisme, affecté dans ses pays d’origine par la baisse tendancielle du taux de profit, cherche à reconstituer son potentiel de création de richesses en s’imposant dans les pays neufs, et en y exploitant nouvellement les masses encore sans défense grâce à la désorganisation du travail et à la syndicalisation quasi nulle.
Pour Rosa LUXEMBURG (L’Accumulation du capital, 1913), la construction des empires coloniaux permet d’écouler la production et ainsi d’éviter la crise de surproduction. Rudolf HILFERDING (Le Capital financier, 1910) analyse pour sa part une tendance au règne de la grande firme, laquelle limite la concurrence, baisse les prix et restaure les profits.
Les grands concepts des économistes néoclassiques
Au début des années 1870 surgit une nouvelle approche de l’économie, à travers les travaux (non concertés, mais publiés presque simultanément) de Léon WALRAS (1834-1910), William JEVONS (1835-1882) et de Carl MENGER (1840-1921). Ces travaux prétendent déjà hisser l’économie au rang de science en dépassant l’approche philosophique à laquelle recouraient les économistes classiques. Avec leur approche marginaliste et leurs études microéconomiques, les néoclassiques ont ainsi décrit un grand nombre de lois du marché et tenté par-là de bâtir une théorie générale de l’économie.
On distingue trois écoles néoclassiques :
1. L’école de Lausanne fondée par Léon WALRAS (1834-1910) et Vilfredo PARETO (1848-1923) a insisté dans ses travaux sur l’équilibre général, le fonctionnement des marchés et les modalités de la concurrence. C’est aussi elle qui a eu le plus recours au formalisme mathématique.
2. L’école de Cambridge est née avec William JEVONS (1835-1882), mais elle est devenue célèbre avec Alfred MARSHALL (1842-1924) qui déclarait vouloir « faire une économie pour les hommes d’affaires ».
3. L’école de Vienne a été formée par Carl MENGER (1840-1921), Eugene von BÖHM-BAWERK (1851-1914), Friedrich von HAYEK (1899-1992), ou encore par Joseph Alois SCHUMPETER (1883-1950).
Si la crise de 1929 et les théories keynésiennes ont discrédité la théorie néoclassique, celle-ci est cependant de retour depuis la fin des années 1970.
La microéconomie est une innovation des néoclassiques : ils appréhendent le fonctionnement de l’économie à partir de l’étude des comportements individuels. Ils expriment ainsi une volonté de faire de l’économie une discipline scientifique au même titre que les mathématiques ou la physique : « Comme la physique tente de décrire les forces, les réactions, l’économie néoclassique appréhende l’économie à travers le même type de schématisation. » Léon WALRAS (Élément d’économie politique pure, 1874)
Cette théorie microéconomique n’a cessé de progresser en partant des figures simples de l’équilibre du consommateur et du producteur, pour accoucher d’un vaste édifice théorique. Elle a des applications pratiques, comme donner la possibilité aux entreprises de mieux appréhender leur rapport au marché (coûts, positionnement, investissements) et son fonctionnement.
La question de la valeur revient avec les néoclassiques. Ils reprennent en effet la notion d’utilité à Jean-Baptiste SAY qui écrivait déjà : « Lorsqu’un homme vend à un autre un produit quelconque, il lui vend l’utilité qui est dans ce produit : l’acheteur ne l’achète qu’à cause de l’usage qu’il peut en faire ». La théorie néoclassique du consommateur montre que le consommateur rationnel cherche à maximiser son utilité, tout comme le producteur cherche à maximiser son profit.
La concurrence pure et parfaite est un cadre théorique bâti par les néoclassiques pour modéliser l’économie. Ce modèle repose sur cinq hypothèses contraignantes mises en évidence par Frank KNIGHT (Cost of Production and Price Over Long and Short Periods, 1921) :
1. l’atomicité du marché (aucun acteur n’est suffisamment grand pour avoir à lui seul une influence sur les prix) ;
2. la mobilité des facteurs de production ;
3. la libre entrée et la libre sortie du marché (tout marché est ouvert à la concurrence de nouveaux entrants) ;
4. la transparence de l’information (chaque acteur est parfaitement informé et dispose de toutes les informations pour prendre des décisions rationnelles) ;
5. l’homogénéité des produits (tous les produits sont identiques sur un même marché, la seule différence étant le prix – il n’y a pas de compétitivité hors prix ou d’image de marque).
Léon WALRAS n’hésite pas à préciser tout de même que ce cadre est comme une « mécanique sans frottement », que le modèle est « idéel et pas réel ».
L’équilibre général et l’optimum de Pareto témoignent d’une foi dans la stabilité du marché. En concurrence pure et parfaite, en effet, le marché est conçu comme s’ajustant automatiquement ; on obtient théoriquement un équilibre sur chacun des trois marchés (biens, travail et capitaux).
Léon WALRAS a établi le principe d’équilibre général selon lequel il y a des interactions entre les différents marchés. Il en conclut que si l’équilibre est réalisé sur n-1 marchés, alors il l’est nécessairement sur le nème marché. Ce résultat rejoint la conséquence logique de la loi des débouchés de SAY selon laquelle une crise durable et généralisée est impossible.
Vilfredo PARETO reprend ce principe d’équilibre général pour théoriser l’existence d’un optimum social. Cet optimum dit « de Pareto » désigne une situation dans laquelle on ne peut plus améliorer le bien-être d’un agent sans nécessairement diminuer celui d’un autre.
Sur le plan monétaire, la théorie quantitative de la monnaie est reprise par les néoclassiques. « Le niveau des prix est l’effet et ne peut être la cause d’un changement des autres facteurs » écrit ainsi Irving FISHER. Ce dernier formalise le principe de la neutralité de la monnaie avec l’équation dite « de FISHER » : MV = PT (où M correspond à la masse monétaire, V la vitesse de circulation de la monnaie, P le niveau des prix et T le volume de transaction). V et T sont supposés stables, si bien qu’une augmentation de la masse monétaire a pour seul effet une augmentation des prix (ou inflation) sans avoir de conséquences sur l’économie dite réelle. Les valeurs relatives des produits peuvent rester inchangées malgré les fluctuations des prix.
Arthur Cecil PIGOU (1877-1959) a par ailleurs cherché à démontrer la nécessaire stabilité de l’économie à travers la théorie des encaisses réelles : les agents économiques chercheraient à conserver des encaisses c’est-à-dire des liquidités disponibles. Toutefois, si les prix augmentent, le pouvoir d’achat de ces encaisses se trouve diminué. Ainsi, comme les ménages veulent conserver des encaisses réelles et non des encaisses nominales, il leur faudrait augmenter les encaisses nominales, ce qui limite d’autant leur consommation et freine la demande pour rétablir le niveau des prix. En d’autres termes, l’inflation accroît l’épargne, ce qui corrige le niveau d’inflation. Il existerait donc en quelque sorte un mécanisme correcteur anti-inflationniste qui jouerait de lui-même.