Actualité et avenir des unions régionales
Ceci est un article issu de livre L'essentiel de l'histoire économique publié en 2017 par Arnaud Labossiere.
L’union régionale : un concept plus que jamais pertinent ?
« L’État-nation est devenu trop petit pour les grands problèmes et trop grand pour les petits problèmes » écrit Daniel BELL. Les unions régionales sont donc une nécessité, du moins pour gérer les « grands problèmes » en face desquels la plupart des États n’ont pas une taille critique.
Jeremy RIFKIN montrait ainsi en 2012 que le problème de la pollution et des énergies nouvelles ne peut trouver une solution en Europe qu’à l’échelle communautaire. L’Histoire le prouverait : « l’Europe a fait la paix et l’Union européenne grâce à l’énergie » (RIFKIN).
Cette dynamique peut donc être réenclenchée autour des énergies vertes. En 2014, François HOLLANDE a par exemple mentionné la possibilité d’un Airbus franco-allemand des nouvelles énergies. André CARTAPANIS (Fin de monde ou sortie de crise, 2009) montre que l’économie mondiale est aujourd’hui à la croisée des chemins entre le fractionnement en zones régionales fermées ou la création d’un fédéralisme mondial.
La crise de la zone euro (2010-2011)
En août 2011, Jacques DELORS écrit dans le journal Le Monde : « Ouvrons les yeux, l’euro et l’Europe sont au bord du gouffre ». Et pour cause, à cette date, la construction monétaire européenne et l‘euro sont confrontés à une crise de confiance sans précédent. Il s’agit avant tout d’une crise des dettes publiques.
Bon nombre de pays européens accumulaient en effet de la dette publique depuis des années, bien avant la crise financière. Les pays rangés sous l’acronyme PIIGS (Portugal, Italie, Irlande, Grèce, Espagne) étaient les plus endettés, mais des pays comme la France sont aussi concernés. Avec la crise financière, puis économique, démarrée en 2008, l’endettement de ces États atteint des sommets[1], tant du fait de la diminution de leurs recettes fiscales (une conséquence logique de la contraction de l’activité) que du fait des plans de relance de l’économie.
À partir de 2010, les marchés financiers anticipent les difficultés de remboursement de ces dettes et spéculent sur la faillite d’États en difficulté comme la Grèce à l’aide de CDS (Credit Default Swap), des produits d’assurance contre le défaut d’une institution ou d’un pays. À cause de cette spéculation, les pays de la zone euro (à quelques exceptions près, comme l’Allemagne) peinent de plus en plus à se financer sur les marchés, où les taux d’intérêt sont devenus prohibitifs (jusqu’à 29 % pour la Grèce !).
En matière de politique monétaire, le problème est que la BCE n’est pas habilitée à financier directement les États (l’article 105 du traité de Maastricht le lui interdit). Pour pallier cette incapacité, une nouvelle institution supranationale est donc créée en 2010 : le Fonds européen de stabilité financière (FESF), qui émet ses propres obligations et qui est autorisé à acheter des titres de dette publique sur les marchés primaire et secondaire.
Des plans d’austérité (ou politiques de rigueur) seront également mis en place à partir de 2010 sous les auspices du FMI et de l’Union européenne (notamment en Grèce) afin de désendetter les États et de restaurer leur crédibilité sur les marchés.
Sur le plan de la causalité économique, il semble que la monnaie unique pose un problème de compétitivité. L’euro est en effet une monnaie forte. Dès lors, elle pénalise les pays ayant une compétitivité-prix (comme la Grèce), tandis qu’elle favorise les pays ayant une compétitivité hors prix (comme l’Allemagne). Avec l’euro « fort » (c’est-à-dire valant au-delà de 1,2 dollar), certains pays perdent ainsi en compétitivité et souffrent conséquemment de déséquilibres économiques internes (chômage, endettement public, etc.).
En dernière instance, cette monnaie unique ne fait pas converger, mais diverger les économies nationales quand elles sont frappées par des chocs asymétriques. Christian SAINT-ETIENNE (La fin de l’euro, 2009) propose donc la création de deux euros : un euro faible pour les pays du sud de l’Europe et un euro fort pour les pays du Nord. Joseph STIGLITZ va encore plus loin en suggérant que, si un pays doit quitter la zone euro pour restaurer une cohésion, c’est bien l’Allemagne.
La crise de l’Europe (2015)
On assiste en 2015 à une nouvelle crise de la dette publique en Grèce. Entre 2010 et 2015, la dette est en effet passée de 130 à 180 % du PIB, lequel a reculé de près d’un quart. Le gouvernement d’Alexis TSIPRAS refuse de continuer de jouer le jeu de la troïka (Commission européenne, BCE et FMI). Une partie de poker s’engage alors entre son tumultueux ministre des finances, Yanis VAROUFAKIS, et ses homologues européens (dont le ministre des finances allemand Wolfgang SCHÄUBLE).
En juillet 2015, le peuple grec refuse par référendum le plan d’aide et d’austérité élaboré par les autorités européennes. Pour Jacques SAPIR (Le vote grec ou la revanche du non au référendum de 2005, 2015) cela constitue une victoire d’un peuple européen sur des institutions européennes. Les Grecs souffrent selon lui d’un « déni de démocratie » et la BCE a « une nature tyrannique ». Néanmoins, TSIPRAS acceptera finalement le plan de l’Europe quelques jours plus tard, un retournement que Jacques SAPIR qualifiera de « jour de deuil de l’Europe » en réaffirmant que « l’euro c’est l’austérité ». Il compare ces plans à l’austérité du chancelier BRÜNING, dans les années 1930 en Allemagne, la période qui a précédé et permis l’arrivée au pouvoir des nazis.
L’économiste français Charles WYPLOSZ écrit au même moment (juillet 2015) que « pour éviter le grexit[2] on a tué l’idéal européen ». De son point de vue, le plan d’aide accordé à la Grèce va juste faire perdurer l’austérité et la dépression économique ; la zone euro a seulement gagné du temps, sans régler véritablement le problème. Il écrit ainsi : « Cette nuit, l'Europe a changé de nature. Elle est devenue perverse. On a imposé à un petit pays membre des conditions que l'on exigeait auparavant par les armes. C'est un petit progrès par rapport à l'Histoire, mais c'est la destruction de l'idéal européen ».
De plus en plus d’économistes envisagent sérieusement une répudiation (partielle ou totale) de la dette comme unique solution viable. Thomas PIKETTY (2015) rappelle ainsi que dans l’après-guerre, « l’Europe s’est construite sur l’annulation des dettes du passé ». Il faudrait aujourd’hui que l’UE « se tourne vers l’avenir » et ne condamne pas les nouvelles générations au paiement de dettes du passé pour les décennies à venir. Cette solution devrait s’accompagner d’une refonte des institutions européennes (qui manquent de légitimité démocratique) et d’une véritable politique fiscale européenne.
Vers une Europe sociale ?
L’Europe est industrielle, agricole, commerciale, monétaire, mais qu’en est-il de l’Europe sociale ? En 2002, le Conseil européen de Barcelone définit le modèle social européen comme un équilibre entre la prospérité économique et la justice sociale. Se pose toutefois le problème de la diversité des modèles sociaux coexistant au sein de l’Union européenne. On y trouve en effet toutes les formes d’État-providence de la fameuse typologie du sociologue Gosta ESPING-ANDERSEN (Les trois mondes de l'État-providence, 1990) :
- un modèle continental (Allemagne, France et Belgique) ;
- un modèle méditerranéen (Espagne, Italie) ;
- un modèle libéral (Grande-Bretagne, Irlande) ;
- un modèle social-démocrate (Suède, Danemark).
Les nouveaux entrants sont pour leurs parts difficiles à classer dans ces différents groupes.
Un autre problème que rencontre l’Europe est celui de la « concurrence fiscale dommageable » (expression employée par l’OCDE) : les pays instrumentalisent leur fiscalité à des fins de compétitivité et d’attractivité du territoire. L’Irlande a par exemple baissé son impôt sur les sociétés (IS) à 12,5 % (le plus faible des pays les plus avancés, contre 33,3 % en France) pour attirer les sièges sociaux des entreprises étrangères.
STERDYNIAK et MATTHIEU (OFCE) identifient ainsi plusieurs stratégies possibles pour l’Europe sociale :
- la stratégie libérale (concurrence entre les systèmes sociaux) ;
- la stratégie souverainiste (les choix restent nationaux) ;
- la stratégie « du bing bang » (fusion entre les systèmes) ;
- la stratégie de l’Europe sociale (avec la définition d’objectifs communs de convergence dans le domaine social).
José Manuel BARROSO, président de la Commission européenne de 2004 à 2014, a déclaré : « Nous devons améliorer notre compétitivité, mais ce serait une erreur d’essayer de démanteler l’État-providence et notre modèle social européen. » (septembre 2012).
[1] Cf. le chapitre « Statistiques d’actualité ».
[2] Contraction des mots anglais Greece (Grèce) et Exit (sortie).