Au XIXe siècle : transition et explosion démographiques en Europe et aux États-Unis
Ceci est un article issu de livre L'essentiel de l'histoire économique publié en 2017 par Arnaud Labossiere.
Explosion démographique en Europe
« Ne disposant d’aucun moyen efficace pour lutter contre la mort ou maîtriser leur fécondité, les populations humaines allient toutes depuis les origines jusqu’au XVIIIe siècle une forte fécondité et une forte mortalité », écrit le démographe Jacques VALLIN (Démographie : analyse et synthèse, volume 5 : Histoire du peuplement et prévisions, 2004).
La situation change cependant à partir de la fin du XVIIIe siècle : la mortalité recule beaucoup plus rapidement que la natalité, générant ainsi une explosion démographique en Europe. La population européenne passe dès lors de 200 millions en 1800 à 420 millions en 1900.
Ce fort accroissement démographique est alors analysé comme un danger. Robert MALTHUS (Essai sur le principe de population, 1798) estime que la population croît à un rythme sensiblement supérieur à celui de la production alimentaire, si bien qu’il prophétise la famine généralisée pour « tous ceux de trop au grand banquet de la nature ».
Le modèle graphique de la transition démographique d’Adolphe LANDRY schématise ces évolutions :
Par rapport à ce modèle, l’Europe du XIXe siècle passe de la phase 1 à la phase 2. La conjonction d’une baisse rapide de la mortalité et du maintien d’une natalité élevée entraîne l’explosion démographique. Patrick VERLEY (L’Échelle du monde, 1997) est pour sa part plus nuancé quant à la rapidité des évolutions : il estime que l’expression de « révolution démographique » est exagérée, car les changements ont été lents et progressifs.
Les causes de la révolution démographique : la révolution agricole et les progrès médicaux
« Il fallait deux naissances pour faire un adulte », explique Pierre GOUBERT au sujet de la période qui précède le XIXe siècle. Entre 1700 et 1900, l’espérance de vie passe par exemple de 31 ans à 53 ans en Grande-Bretagne. Contrairement aux idées reçues, les progrès alimentaires (en quantité et en qualité) ont une part plus importante dans cette amélioration que les progrès médicaux. La révolution agricole augmente en effet le volume des denrées produites et permet ainsi de mieux satisfaire les besoins alimentaires de la population. Thomas MOORE (Utopia, 1516) estime que le mouvement des enclosures a augmenté les rendements agricoles de 10 à 15% à lui tout seul.
D’importants progrès médicaux ont également été réalisés. JENNER a par exemple inventé le vaccin contre la variole en 1796. Dans les années 1840, le médecin Ignace Philippe SEMMELWEIS a découvert par intuition les maladies microbiennes responsables de la mort de plus de 15 % des femmes à l’accouchement : il divisa ainsi ce taux par dix en exigeant que les médecins se lavent les mains avant un accouchement. Frappé d’ostracisme par la majorité de ses confrères de l’époque, il a tout de même contribué aux « magnifiques progrès de la médecine et de l’hygiène » (Adolphe LANDRY) réalisés au cours de la période.
Le cas français : une bien faible croissance démographique
Alors que l’Europe connaît une croissance démographique sans précédent, l’accroissement de la population française est bien faible. Elle passe seulement de 30 à 40 millions entre 1800 et 1900, quand la population britannique passe de 16 à 42 millions. Pays le plus peuplé d’Europe au début du siècle – ce qui a permis à NAPOLÉON Ier de constituer sa Grande Armée – elle sera dépassée par l’Allemagne dans les années 1840, puis par le Royaume-Uni à la fin du siècle.
Alfred SAUVY (La Montée des jeunes, 1959) cite les travaux de Pierre DUBOIS (Statistiques générales de France, 1941) pour montrer que la France n’assurait plus le renouvellement de ses générations à partir de 1850. Pour lui, cette situation annonçait sans doute possible le déclin de la France. « Remplacer indéfiniment des jeunes par des vieux, grâce à l’allongement de la vie, mène à la chute définitive », prévoit ainsi le démographe.
Une population en mouvement
Deux grands types de mouvements de population caractérisent le XIXe siècle : les migrations nationales et les migrations internationales. Les migrations nationales sont le plus souvent liées à l’urbanisation et à l’exode rural. Comme l’ont montré les travaux de l’historien Philippe ARIÈS, l’exode rural s’est déroulé en plusieurs étapes.
- Entre 1851 et 1861, il est causé par la crise des industries (encore rurales) de 1848 et par la modernisation des campagnes (mécanisation, réduction de la jachère, etc.).
- De 1876 à 1881, l’épidémie de phylloxera et la concurrence des pays du Nouveau Monde provoquent une crise de l’agriculture.
- De 1896 à 1901, la modernité de la ville renforce son attractivité au détriment des campagnes.
Les migrations internationales sont motivées par la précarité dans le pays d’origine. C’est ainsi que cinq millions d’Irlandais (soit un peu plus de 50 % de la population) fuient par exemple leur pays pour les États-Unis entre 1845 et 1849, en pleine Grande Famine (due à un parasite touchant la pomme de terre). Les migrations internationales sont également à l’origine de migrations nationales dans le pays d’arrivée. Symbolisée par le mythe de la frontière, la conquête de l’Ouest américain façonnera l’esprit et la culture américains (F. J. TURNER, The Frontier in American History, 1921).