Capitalisme et révolutions industrielles du XIXe siècle
On croit souvent que le capitalisme est apparu avec la révolution industrielle. Mais l'histoire économique est plus complexe…
Ceci est un article issu de livre L'essentiel de l'histoire économique publié en 2017 par Arnaud Labossiere.
Le capitalisme avant la révolution industrielle
On croit souvent que le capitalisme est apparu avec la révolution industrielle. Différentes sont les conclusions des travaux de Werner SOMBART (Le Capitalisme moderne, 1902). Il décèle une première forme de capitalisme dès le XIVe siècle. Cella à Florence, où règnent déjà une classe bourgeoise ainsi que l’esprit d’entreprise. On retrouve cette même idée chez Fernand BRAUDEL (La Dynamique du capitalisme, 1985). Il décrit le développement du capitalisme commercial dans des cités marchandes comme Venise, Anvers, Gênes, ou encore Amsterdam. Pour cet historien, le capitalisme constitue en réalité une « civilisation » ancienne qui remonte donc au Moyen-Âge. Avec les premières activités commerciales et bancaires (la Bourse de Bruges est par exemple créée en 1409).
Il montre que le capitalisme s’oppose à l’économie de marché. Dans le sens où il cherche à échapper aux règles de la concurrence et à la transparence. Le « commerce au loin » permet de s’affranchir de ces règles et de réaliser des profits plus importants.
De même, Lewis MUMFORD montre que les évolutions techniques qui ont permis la révolution industrielle et l’avènement du capitalisme moderne remontent à la Renaissance (Technique et Civilisation, 1950). L’imprimerie par GUTENBERG en 1454 a par exemple fait de la Bible le premier produit de masse standardisé de l’Histoire (bien avant les automobiles de FORD).
Les changements culturels et institutionnels
La généralisation de comportements rationnels guidés par les intérêts précède et accompagne le développement du capitalisme. Selon Albert HIRSCHMAN (Les Passions et les Intérêts, 1977), c’est avec la révolution industrielle que des comportements dictés par les intérêts et la rationalité se sont substitués à des comportements motivés par la passion. L’inverse s’est produit en matière amoureuse, où l’intérêt a été remplacé par la passion au bout de deux siècles.
Un changement de mentalité
Ce changement de mentalité s’explique d’une certaine manière par le développement du protestantisme. Et dans le cadre d’un « désenchantement du monde » comme l’explique Max WEBER dans L’Éthique protestante et l’esprit du capitalisme (1905). Pour lui, la Réforme protestante a permis l’apparition de mentalités favorables au travail, à la réussite professionnelle et à l’épargne. Il utilise notamment l’expression moderne de capitalisme « pour caractériser la recherche rationnelle et systématique du profit par l’exercice d’une profession ». Dans cette conception, le profit et l’enrichissement ne sont pas considérés comme des pêchés comme dans le catholicisme.
Un changement de cadre réglementaires
Au niveau de l’environnement économique, on assiste à un changement des cadres réglementaires en Europe et aux États-Unis. Les nouvelles règles sont notamment favorables à la propriété privée. Au XVIIe siècle, la création de sociétés par actions est autorisée en Hollande. Elles ont une durée de vie permanente et la responsabilité des associés est limitée aux apports. On considère la compagnie des Indes orientales, créée en 1602, comme la première grande société par actions (elle émettait des actions et des obligations).
En Angleterre, l’Enclosure Act de 1727 a confié la propriété des champs communaux à la noblesse. Les transformant ainsi en propriétés privées. L’appropriation des terres a notamment été vivement critiquée par Jean-Jacques ROUSSEAU dans son Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes. « Vous êtes perdus si vous oubliez que les fruits sont à tous et que la terre n’est à personne ». En France, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (26 août 1789) fait de la propriété privée un droit inaliénable (article 17). L’abrogation du Bubble Act anglais en 1825 lève les contraintes à la création d’entreprise : c’est le point de départ du développement industriel.
Le capitalisme et les capitalistes
La généralisation du travail usinier (factory system) requiert de lourds investissements pour acheter des locaux et des équipements. Si les débuts de l’industrie textile ont pu se faire par autofinancement (Patrick VERLEY, La Révolution industrielle, 1997), il a rapidement fallu trouver des capitaux pour grandir. Les entrepreneurs ont ainsi dû faire appel à des financements externes pour rassembler les capitaux nécessaires à leurs investissements. 20 000 machines textiles spinning jenny (inventée par James HARGREAVES en 1764) ont par exemple été acquises entre 1765 et 1790.
On assiste à une accumulation du capital dans les différents sens du mot « capital », tant comme argent que comme outils productifs. Contemporain du développement du capitalisme industriel, Karl MARX (Le Capital, 1867) voit dans le « système capitaliste » le symbole du triomphe de la bourgeoisie sur la noblesse. Il montre qu’une fois encore, dans l’histoire de l’humanité, c’est un antagonisme économique entre deux groupes sociaux qui détermine le cours des choses.
L'optique marxiste
Dans l’optique marxiste, le capitalisme est caractérisé par une « lutte des classes », avec la bourgeoisie d’un côté, et le prolétariat de l’autre. La bourgeoisie exploite le prolétariat. Et elle entretient un chômage de masse (les chômeurs formant une « armée industrielle de réserve ») pour contenir les salaires à leur plus bas niveau possible. Pour le philosophe allemand, le capitalisme est condamné. A cause de ses contradictions fondamentales et de la baisse tendancielle du taux de profit.
MARX n’est pas le seul à prophétiser la fin du capitalisme. L’économiste Joseph A. SCHUMPETER écrit ainsi dans Capitalisme, socialisme et démocratie (1942) : « Le capitalisme peut-il survivre ? Non, je ne pense pas qu’il le puisse. Le capitalisme peut-il fonctionner ? À coup sûr, il le peut ». Il craint alors une disparition de la figure de l’entrepreneur-innovateur en raison du développement de l’actionnariat et de la montée en puissance des managers au sein des entreprises. « L'évolution capitaliste, en substituant un simple paquet d’actions aux murs et aux machines d’une usine, dévitalise la notion de propriété ».
Capitalisme et expansion internationale
Le capitalisme s’est répandu dans le monde entier et a coïncidé avec le développement des échanges commerciaux entre les pays. En effet, le libéral David RICARDO (Essai sur l’influence des bas prix du blé, 1815) prônait une politique de libre-échange en Angleterre pour réduire les prix des biens agricoles (grâce aux importations). Afin de pouvoir réduire les salaires et ainsi favoriser le profit, l’investissement et l’industrie. Le lobby industriel Anti-Corn Law League est parvenu à faire abroger les Corn Laws en 1846, autrement dit à ouvrir le marché anglais aux importations de blés.
L’expansion internationale du capitalisme s’est aussi faite de manière plus violente, sous forme de colonisation ou de contrôle de territoires. Au XIXe siècle, les puissances capitalistes sont aussi des puissances coloniales. Elles développent des relations commerciales inéquitables avec les pays et territoires dominés. Paul BAIROCH parle ainsi d’un « libre-échange imposé » (Mythes et Paradoxes de l’histoire économique, 1994).
La guerre de l'opium
L’Angleterre a par exemple forcé le commerce de l’opium en Chine. La Guerre de l’opium (1838-1842) commence lorsque l’empereur décrète par des interdictions. Celle de l’importation et de la consommation de la drogue après la mort de trois de ses fils. Il déclare : « L’opium est un poison minant nos cultures et notre moralité. Sa consommation est interdite par la loi. » Du fait de la supériorité technologique des Anglais, la Chine perd la guerre. Et le traité de Nankin (1842) impose l’ouverture des ports chinois. Pour LÉNINE (L’impérialisme, stade suprême du capitalisme, 1916), la colonisation et l’impérialisme permettent de reconstituer les profits des entreprises confrontées à une baisse tendancielle du taux de profit dans leurs pays d’origine. Pour LÉNINE, les grandes entreprises comme l’Allemande AEG ou l’Américaine General Electrics cherchent en fait à se partager le monde.