Peut-on parler "des" capitalismes ?
Capitalismes ou capitalisme ? Ce dernier se décline en modèles nationaux. Il ne prend pas la même forme en Allemagne qu’aux États-Unis.
Ceci est un article issu de livre L'essentiel de l'histoire économique publié en 2017 par Arnaud Labossiere.
Un capitalisme (Des capitalismes?) qui vacille… et le rôle régulateur de l’État
Avant de parler des capitalismes, petit rappel.
Le capitalisme est confronté à des crises à répétition. Certaines crises sont structurelles et profondes. Comme la crise de 1929, pendant laquelle le PIB américain recule de 45 % entre 1929 et 1933, tandis que le taux de chômage atteint 25 %. Avec la crise des années 1930, le capitalisme a fini par accepter le rôle régulateur de l’État. Le président F. D. ROOSEVELT parlait bien de « la responsabilité du gouvernement envers la vie économique » pour justifier la politique du New Deal qui commence en 1933. Les différents volets de cette politique visent à réguler l’agriculture (via la fixation administrative de certains prix). Mais aussi l’industrie (en autorisant une forme de cartellisation dans le cadre du NIRA[1]). Et enfin, la finance (en mettant en place le cloisonnement bancaire avec le Glass Steagall Act de 1933, et en créant un gendarme de la bourse, la SEC[2]).
John Maynard KEYNES a mis en évidence le rôle de l’État en période de crise pour relancer la conjoncture (Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie, 1936). Lors des Trente Glorieuses (1945-1973), la France et l’Angleterre vont mener sous l’influence des économistes keynésiens des politiques de réglage fin de la conjoncture (politiques dites de fine tuning, ou de stop and go). Quand l’économie ralentit, l’État relance ; mais quand l’économie est en surchauffe, l’État freine l’activité. Ces politiques constituent une des raisons avancées pour expliquer l’importante croissance des Trente Glorieuses. Avec 9,3 % au Japon, 6 % en RFA, 5,6 % en Italie, 5,3 % en Suisse, 5,1 % en France.
Le modèle communiste et la guerre froide
La révolution russe de 1917 place les bolcheviks au pouvoir. LÉNINE entend opérer une transition entre le capitalisme et le socialisme. Il déclare : « Nous devons utiliser le capitalisme comme meilleur intermédiaire pour arriver au socialisme ». Dans sa perspective, ainsi, l’achèvement de la révolution industrielle est une étape avant l’avènement du socialisme.
Lors de la période du communisme de guerre (1917-1922), l’État conduit de vastes politiques de collectivisation. Puis, entre 1922 et 1928, la N.E.P. (Nouvelle Politique économique) mise sur une relative libéralisation des marchés et tolère l’entre-prise privée. La collectivisation et l’industrialisation à marche forcée seront reprises avec l’arrivée au pouvoir de STALINE en 1928 avec le premier plan quinquennal.
L’économie de l’URSS est caractérisée par :
la planification centralisée et impérative ;
la disparition du marché avec des économies administrées ;
la propriété collective des moyens de production ;
la priorité donnée à l’industrie lourde.
Le Hongrois Janos KORNAÏ montre que c’est le manque d’incitation à l’efficacité dû à l’absence de concurrence qui explique la faiblesse relative des économies communistes. Et aussi l’existence de pénuries (Socialisme et économie de la pénurie, 1980). Daron ACEMOGLU et James ROBINSON (Economic origins of dictatorship and democracy, 2006) estiment que la différence entre une démocratie et une dictature réside dans le fondement de la croissance. Dans la première, la croissance est fondée sur l’innovation ; dans la seconde, sur l’accumulation du capital.
L’ironie est que l’accumulation du capital est aussi considérée comme le propre du capitalismes. Les économies communistes sont en ce sens capitalistes (Cornelius CATORIADIS parle lui d’un capitalisme étatique dans le bloc communiste).
Capitalismes : Une pluralité de modèles nationaux de capitalisme
Le capitalisme se décline en différents modèles nationaux. On pourrait parler de "capitalismes". Il ne prend pas la même forme en Allemagne qu’aux États-Unis, comme le montre Michel ALBERT dans Capitalisme contre Capitalisme (1991). Cet auteur distingue en effet le modèle « néo-américain » du modèle « rhénan ».
Le modèle néo-américain est marqué par un fort dynamisme économique ainsi que par les déréglementations économiques héritées de l’ère REAGAN. ALBERT pointe néanmoins du doigt l’accroissement préoccupant des inégalités et les déséquilibres économiques globaux (déficits budgétaire et commercial). Il voit ce modèle comme une économie qui vit à crédit grâce à des marchés financiers de plus en plus influents. Les Américains « se jettent à corps perdu dans l’endettement pour la consommation et la jouissance immédiates ».
Le modèle du capitalisme rhénan s’enracine dans l’économie sociale de marché et dans le système de la cogestion qualifiée. L’État a un rôle régulateur, sans être écrasant, et les syndicats participent à la gestion des entreprises. C’est un système plus rigoureux, en particulier pour la politique monétaire (priorité donnée à la lutte contre l’inflation). Enfin, les banques ont traditionnellement une vision de long terme.
Un modèle français ?
On peut aussi parler d’un modèle français. Le capitalisme français est marqué par un fort héritage dirigiste et interventionniste. Issu à la fois du colbertisme (industrialisation au XVIIe siècle par la création de manufactures royales comme les Gobelins, par exemple). Et aussi du gaullisme. La politique industrielle, la planification indicative (à partir de 1946) et la volonté d’indépendance économique vont marquer le capitalisme français dans la seconde moitié du XXe siècle. On assiste alors à la création et au développement de grandes entreprises publiques (EDF, Areva, Alstom) qui ont été des champions nationaux à l’origine de grandes réussites technologiques (TGV, Concorde).
Il existe dans le capitalisme français une grande proximité entre les élites économiques et les élites politiques. Comme le rappelle BOURDIEU, ces élites ont été formées dans les mêmes écoles. Notamment Sciences-Po et l’ENA et elles proviennent des mêmes milieux sociaux : il évoque donc une « noblesse d’État ».
[1] Le National Industrial Recovery Act, en français « loi de redressement industriel national ».
[2] La Securities and Exchange Commission (SEC), qui est en quelque sorte le « gendarme de la Bourse » américain.