La France et son économie au XXe siècle
Ceci est un article issu de livre L'essentiel de l'histoire économique publié en 2017 par Arnaud Labossiere.
La Première Guerre mondiale
La France forme avec le Royaume-Uni et la Russie la Triple-Entente, et elle se bat dans ce cadre contre la Triple-Alliance, composée de l’Allemagne, de l’Autriche-Hongrie et de l’Italie.
La Première Guerre mondiale constitue une guerre totale au sens de CLAUSEWITZ (De la Guerre, 1832). En effet, elle mobilise tous les secteurs de l’économie et engendre en conséquence une réorganisation de la production pour mettre en place une économie de guerre.
Certains secteurs sont sacrifiés. En Angleterre, par exemple, 90 % des filatures de cotons ferment à Manchester. Bien évidemment, les industries de l’armement tournent en revanche à plein régime. Sachant que l’armée française tirait jusqu’à un million d’obus par jour (dont environ un sur six tombait sur ses propres lignes…), l’usine Citroën, située quai de Javel, adopte les méthodes de production tayloristes à un rythme de 15 000 obus par jour. Dès lors, quand bien même l’indice de la production industrielle française baisse de 43 % entre 1919 et 1933, les productions de Saint-Gobain augmentent de 70 %, et celles de Schneider de 100 % sur la même période. Les syndicats acceptent de jouer le jeu et participent à l’effort de guerre, notamment à l’initiative d’Albert THOMAS, un ancien syndicaliste devenu ministre de l’armement (1916-1917).
Le bilan humain est celui que l’on connaît, catastrophique et sans précédent : 1,4 million de morts en France, 1,6 million en Allemagne. Rapporté à la population, la France est le pays qui paie le plus cher tribut humain. Sur le plan matériel, la guerre a entraîné des destructions massives, en particulier dans le Nord.
Des années folles jusqu’à la fin de la Deuxième Guerre mondiale
i) Les conséquences de la Première Guerre mondiale
Une série de lois sociales est votée au lendemain de la guerre. Par exemple, la journée de huit heures est adoptée en 1919, et la création des Habitations à bon marché (HBM, l’ancê-tre des HLM) est lancée en 1928 avec la loi LOUCHEUR.
La France connaît alors une croissance irrégulière, mais forte (environ 5 % par an). Son activité économique est tirée par les secteurs de l’électricité (la chimie, par exemple, avec Rhône-Poulenc) ou encore de l’automobile.
Le problème fondamental du pays réside alors dans son instabilité politique. En effet, le système parlementaire de la IIIe République entraîne la « valse des ministères » (1929-1939). Les gouvernements se succèdent et peinent à se stabiliser. Il faut attendre les réformes de POINCARÉ, à partir de 1928, pour que l’inflation et la dette publique se stabilisent. À l’aide d’une dévaluation du franc de 80 %, le pays relance ses exportations et parvient à dégager de forts excédents commerciaux jusqu’en 1930.
ii) La crise des années 1930
La France sera frappée plus tardivement que les autres pays industrialisés par la crise des années 1930, mais elle restera plus longtemps engluée dans le marasme économique. Alors que la plupart des pays industrialisés avaient choisi de dévaluer leur monnaie, la France fait elle le choix de la déflation pour maintenir sa compétitivité. Ainsi, les gouvernements DOUMERGUE (1934) et LAVAL (1935) baissent de 10 % les crédits des ministères, de 5 % la rémunération des fonctionnaires et de 3 % les pensions de guerre. Ces politiques ne permettent toutefois pas de relancer les exportations et la production françaises, et le taux de chômage reste relativement élevé (8 %).
En 1936, le Front populaire (coalition entre les radicaux, les socialistes et les communistes) arrive au pouvoir et un vaste mouvement de grèves enflamme le pays au lendemain de l’élection. Le mouvement se conclut par les accords de Matignon (juin 1936), qui prévoient le passage à la semaine des quarante heures et une augmentation des salaires de 10 à 15 %. Le Front populaire met également en place un vaste dispositif de lois sociales, dont font partie les premiers congés payés.
En 1939, cependant, la France est toujours dans une situation économique très préoccupante. Les productions industrielles sont 30 % en dessous de leur niveau de 1929 et, contrairement aux États-Unis avec le New Deal de ROOSEVELT, ou en Allemagne, avec les grands programmes industriels nazis, la France n’a pas profité de ces années pour moderniser son économie.
iii) La Deuxième Guerre mondiale
La France aborde la Deuxième Guerre mondiale avec une économie fragile. Ses élites, tout particulièrement, n’ont pas été renouvelées. Pour Alfred SAUVY (Histoire de la France entre les deux guerres, 1984), il s’agit là d’une conséquence de la Première Guerre mondiale. En effet, les grandes écoles, dont la fonction est de former les nouvelles élites, ont vu leurs promotions décimées au combat. Ainsi, la moitié des polytechniciens et 30 % des normaliens et des centraliens sont morts. La France ne possède donc pas à sa tête une élite audacieuse et tournée vers le progrès, même si des figures comme DE GAULLE, qui critique le conservatisme tactique militaire dans Vers l’Armée de métier (1934), sont des exceptions.
Pendant l’occupation, l’économie française est mise au service du Reich. À travers le programme des STO (Service du Travail Obligatoire), entre 600 000 et 750 000 Français sont contraints de travailler dans les usines allemandes. Ce programme est organisé par Fritz SAUCKEL, gauleiter (dirigeant régional dans l’Allemagne nazie) et député nazi, qui recevra le surnom de « négrier de l’Europe ». Ces ouvriers sont cependant peu productifs, un manque de motivation auquel Albert SPEER tente de remédier en mettant en place le système des S-Betriebe : la production est réalisée au profit de l’Allemagne, mais en France.
Au sortir de la guerre, l’économie française est exsangue : son outil productif est usé par des années de productions et de sous-investissements.
Le gaullisme et les Trente Glorieuses
Au lendemain de la guerre, le Conseil National de la Résistance (CNR) et le Parti communiste français (PCF) disposent d’une grande influence, grâce à laquelle ils exigent l’instauration d’un État-providence en France. Ainsi, la Sécurité sociale est mise en place avec l’ordonnance LAROQUE de 1945. Elle est divisée en trois caisses : la vieillesse, la maladie, et la maternité. La Constitution de 1946 garantit « la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs. Tout être humain qui (…) se trouve dans l’incapacité de travailler a le droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence ». Ces droits et ces devoirs (notamment celui de cotiser) seront progressivement élargis à toute la population active. La création du salaire minimum (le SMIG en 1950, qui deviendra le SMIC en 1970) est une autre avancée, qui garantit aux travailleurs un niveau de rémunération décent.
Les nationalisations placent entre les mains de l’État :
- l’outil productif avec des entreprises comme Renault ;
- l’outil énergétique avec la création d’EDF et de GDF ;
- l’outil monétaire avec la nationalisation de la Banque de France et des principales banques commerciales.
Sur le plan idéologique, les Trente Glorieuses sont marquées par le gaullisme, la doctrine du fondateur de la Ve République qui vise à rétablir la grandeur de la France et à assurer son indépendance économique. Cette ambition se traduit par des politiques conjoncturelles comme structurelles. La planification indicative, par exemple, répond à un objectif de reconstruction et de modernisation de l’économie française. Elle passe notamment par le développement des infrastructures (80 % des ports ont été détruits par la guerre). Adopté en 1947, le plan MONNET – c’est le premier[1] – vise un objectif de croissance de 25 % sur les cinq années suivantes. Ce volontarisme public sera à l’origine de grandes réussites technologiques, comme le TGV (1981), ou encore le Concorde (1969), un projet franco-britannique.
La difficile transformation du modèle français depuis les chocs pétroliers
La crise des années 1970 met le réflexe keynésien français en échec : le plan de relance CHIRAC de 1974 (15 milliards de francs, soit 2,2 % du PIB) n’obtient pas les résultats escomptés. Le gaullisme et l'interventionnisme économique ne parviennent pas à résoudre le problème du chômage, ni à freiner l’inflation ou encore à renouer avec une croissance de longue durée. En 1981, le premier gouvernement socialiste conduit des nationalisations, avant de faire demi-tour cinq ans plus tard.
Alors que la croissance française était de 5 % et le taux de chômage de 3 % pendant les Trente Glorieuses, les deux indicateurs se dégradent respectivement à moins de 2 et à 8 entre 1980 et 2006. Le pays est simultanément confronté à un accroissement de sa dette publique : elle passe ainsi de 20 % en 1980 à 35 % en 1990, et elle dépasse les 57 % en 2000. Cette détérioration des finances publiques est dangereuse pour la mission sociale de l’État, comme le montre Pierre ROSANVALLON dans La crise de l’État-providence (1981).
Les années 1980 se caractérisent parallèlement par une libéralisation de l’économie française et un désengagement relatif de l’État. Les gouvernements successifs privatisent à tour de bras, déjà sous MITTERRAND (en 1986, après la vague de nationalisations de 1981) ; puis sous BALLADUR (Premier ministre de 1993 à 1995), où les privatisations touchent des entreprises comme la BNP ou Total et rapportent quelque 114 milliards de francs. La création en 1987 du Conseil de la concurrence (devenue l’Autorité de la concurrence) vise à propager les mécanismes du marché au détriment des monopoles publics. Enfin, les directives européennes ouvrent et déréglementent les marchés français dans le cadre de l’Acte unique signé en 1986. Les règles du jeu changent avec le paradigme.
[1] S’en suivront les plans HIRSCH (1952-1958), MASSÉ (1959-1966), ou encore ORTOLI (1966-1970)…