La naissance de la société moderne : Max WEBER et Émile DURKHEIM
Ceci est un article issu de livre L'essentiel de l'histoire économique publié en 2017 par Arnaud Labossiere.
Les grands concepts de Max WEBER
Max WEBER est un des fondateurs de la sociologie moderne. Sa démarche est double : elle est à la fois compréhensive (identifier le sens que les individus donnent à leurs actions) et explicative (chercher les relations de causalité).
Son concept phare est l’idéal type, qui est un outil d’analyse. Il ne correspond pas à une représentation exacte de la réalité, mais à la construction théorique d’un cas moyen à partir de l’observation duquel les faits sociologiques peuvent être mis en évidence. La dimension « compréhensive » de sa démarche requiert pour sa part d’interpréter l’activité sociale en expliquant causalement son déroulement et ses effets.
Son paradigme est l’individualisme méthodologique, lequel place l’individu et ses comportements au centre de l’analyse. WEBER envisage donc les évolutions sociologiques comme la résultante des comportements individuels, soit une méthode assez proche de l’analyse économique néoclassique.
Il conçoit les classes sociales comme une abstraction utile à l’observateur, et non comme une réalité. Il constate certes le caractère inégalitaire de la société, mais il ne le résume pas à une simple opposition entre une classe possédante et une classe exploitée. Son analyse détaillée lui permet de distinguer au sein des inégalités : le rôle du statut, le revenu et la part d’autorité ou la position d’autorité de chacun.
Max WEBER (Économie et société, 1922) distingue trois sources d’autorité (ou de légitimité). Il évoque tout d’abord l’autorité « traditionnelle », fondée sur son antériorité de la coutume (par exemple, l’autorité du père de famille jusqu’à récemment). Il traite ensuite de l’autorité « charismatique », qui repose sur l’adhésion et le dévouement suscités par le prestige du chef. Enfin, il identifie l’autorité « légale-rationnelle », caractéristique des sociétés modernes, établie par les règles (le droit), mais qui a aussi la capacité de se maintenir au nom de son efficacité.
Le sociologue allemand s’est aussi intéressé de manière originale à l’évolution des mentalités : il affirme par exemple que « certaines croyances religieuses déterminent l’apparition de mentalités économiques ». Dans L’Éthique protestante et l’esprit du capitalisme (1905), il montre en quoi certaines valeurs, ou une certaine vision du monde ont pu créer des conditions propices à l’apparition du capitalisme. La morale protestante, tout particulièrement, laquelle condamne l’oisiveté tout en encourageant le travail et l’épargne, serait selon lui à l’origine du développement du capitalisme.
L’analyse de WEBER sur la rationalisation de la société a fait date. Elle explique que les actions des individus gagnent en rationalité à mesure du développement du capitalisme parce que l’idéal type de ce système est la « recherche rationnelle et systématique de profit par l’exercice d’une profession ». Elle distingue pour ce faire plusieurs types d’action : l’action rationnelle en finalité (fixation d’un objectif et mise en œuvre des moyens pour l’atteindre), l’action rationnelle en valeur (inscrite dans un ordre moral ou éthique), l’action traditionnelle (dictée par la coutume et la routine), et l’action affective (guidée par la passion). Avec la rationalisation wébérienne, le calcul et l’efficacité remplacent la religion, provoquant ainsi un certain « désenchantement du monde ».
Une certaine conception de l’État moderne et de la bureaucratie découlent de l’analyse précédente. En effet, l’action de l’État visant l’intérêt général, elle dispose d’une autorité légale rationnelle qui se concrétise dans une administration efficace. Celle-ci donne naissance à la « bureaucratie » (connotation neutre chez WEBER), composée de fonctionnaires sélectionnés pour leurs compétences, autonome et indépendante du pouvoir politique (promotions, ancienneté, etc.). Ces évolutions sont symptomatiques de la rationalisation du monde.
Les grands concepts d’Émile DURKHEIM
Fondateur lui aussi de la sociologie moderne, Émile DURKHEIM avait pour ambition de faire de sa discipline la science des faits sociaux. Dans Les Règles de la méthode sociologique (1894), il en définit la méthode de la manière suivante : son objet d’étude est le fait social ; la recherche doit être scientifique au sens où elle ne laisserait aucune place à la subjectivité (neutralité axiologique). Alors que WEBER adopte l’individualisme méthodologique, DURKHEIM a une vision holiste : c’est pour lui la société qui détermine les comportements des individus, et non pas l’inverse.
Le sociologue français a travaillé sur le lien social en s’appuyant sur les résultats de Ferdinand TÖNNIES (Communauté et Société, 1887). Celui-ci distinguait les sociétés traditionnelles (ou communautés) des sociétés modernes (ou sociétés). Dans les premières, le lien social est fort, car il repose sur le religieux, le sang, le clan et la coutume. Dans les secondes, ce lien est beaucoup plus fragile, parce que ces sociétés sont individualistes et leurs individus égoïstes.
Émile DURKHEIM (De la division du travail social, 1893) approfondit cette analyse en opposant deux formes de solidarité, la solidarité mécanique des sociétés traditionnelles, qui assure la cohésion d’un tout unifié, et la solidarité organique, née d’une division du travail toujours plus complexe, de l’urbanisation, du recul de la religion et de l’individualisme. Cette dernière remplace imparfaitement la solidarité mécanique, puisque les liens qu’elle institue sont beaucoup plus faibles – telle est la caractéristique des sociétés modernes. La conséquence en est l’anomie, la disparition des normes et des valeurs collectives.
DURKHEIM s’est imposé avec son analyse du suicide. Il définit cet acte comme « tout cas de mort qui résulte directement ou indirectement d’un acte positif ou négatif, accompli par la victime elle-même, et qu’elle savait produire ce résultat » (Le Suicide, 1897). Il aboutit à la conclusion paradoxale que le phénomène est un fait social bien plus qu’un fait individuel. Il cherche des régularités dans les statistiques et trouve par exemple que les hommes se suicident plus que les femmes, et les protestants plus que les catholiques. Il établir aussi une typologie des différentes formes de suicide : le suicide « altruiste » (sacrifice pour le groupe), « égoïste » (défaut d’insertion sociale), « fataliste » (excès de régulation sociale) ou « anomique » (défaut de régulation sociale).