La question du retour à la croissance après la crise
Ceci est un article issu de livre L'essentiel de l'histoire économique publié en 2017 par Arnaud Labossiere.
La fin des cycles ?
Les économistes ont fait preuve de présomption. « Le problème principal de la prévention de la dépression a été résolu en pratique », déclarait ainsi Robert LUCAS (prix Nobel d’économie de 1995) au cours d’une conférence de 2003, en conséquence de quoi il pensait qu’il était temps pour la discipline d’aller de l’avant.
En 2004, c’était au tour de celui qui deviendra deux ans plus tard le patron de la Fed, Ben BERNANKE, d’affirmer que la macroéconomie avait résolu le problème du cycle économique.
Les faits leur ont cependant donné tort. Dans Pourquoi les crises reviennent toujours (2008), Paul KRUGMAN dénonce l’aveugle-ment de la science économique face au phénomène de la crise et du cycle : « entre J. M. Keynes et Milton Friedman, nous pensions en savoir assez pour éviter que ça se reproduise ». Par « ça », il entend une crise aussi profonde et durable que celle des années 1930, ou celle des années 1970.
La crise des subprimes, celle des dettes souveraines : de la relance à l’austérité
En 2009, les pays de l’OCDE connaissent en moyenne une récession de plus de 4,5 %. Le Royaume-Uni enregistre un recul de sa croissance de 8,6 %. Le chômage double dans de nombreux pays : en Espagne, par exemple, le taux de chômage passe ainsi de 10 à 20 % de la population active[1].
Face à cette crise, le premier réflexe est keynésien : les États volent au secours de l’économie. Le plan de relance américain de 2009 avoisine les 800 milliards de dollars. En Europe, on arrive, en additionnant les montants des plans des différents pays, à 200 milliards de dollars. Le New York Times fait même de KEYNES « l’homme de l’année » en 2008.
À partir de 2010, cependant, l’attitude des États change. Comme le montre Jacques ATTALI, le sauvetage de l’économie a transformé la dette privée (ménages, banques, etc.) en une dette publique qu’il faut tout de même rembourser. L’endettement public atteint ainsi de nouveaux records[2]. En 2012, il représente 107 % du PIB aux États-Unis, 90 % dans la zone euro. Invités par le Fonds monétaire international (FMI) à se désendetter dans le cadre de la crise des dettes souveraines de la zone euro, des pays comme la Grèce mettent en place une politique d’austérité. KRUGMAN et STIGLITZ rendent cette solution responsable de l’accentuation de la récession, tandis que la sortie de crise pourrait être obtenue que par une relance et des réformes audacieuses.
La fin de la croissance et la stagnation séculaire ?
Constatant, en 2013, le difficile retour à la croissance, Larry SUMMERS a remis au goût du jour la théorie de la stagnation séculaire. Cette théorie de Halvin HANSEN (Economic Progress and Declining Population Growth, 1939) affirme que le ralentissement du progrès technique et de la croissance démographique condamne les économies à une période de stagnation économique. La faible rentabilité anticipée est désincitative à l’égard des investissements, et elle prive ce faisant les économies de croissance.
Pour SUMMERS, l'économie américaine est depuis longtemps dans cette situation, mais celle-ci a été dissimulée par la politique monétaire expansive de la banque centrale américaine (FED) qui a artificiellement créé des bulles (et donc temporairement de la croissance). La croissance a effectivement accompagné la bulle internet (1996-2000), puis celle des subprimes (2001-2007). Aux yeux de l’économiste, la récession de 2009 n'a été qu'un simple retour à la normale. Il existe néanmoins par ailleurs des explications pessimistes concurrentes. Pour Robert J. GORDON (Is U.S. Economic Growth Over ?, 2012), le ralentissement est en fait causé par un épuisement de la productivité issue de la révolution des technologies de l'information et de la communication (TIC).
Croissance du PIB déflaté par habitant de la France
Années 60 Années 70 Années 80 Années 90 Années 2000
4,6 % 3,5 % 1,8 % 1,4 % 0,6 %
(Source : Eurostat)
La croissance de demain
Le pessimisme des théoriciens de la stagnation séculaire ne fait pas l’unanimité. Joel MOKYR (Secular stagnation ? Not in your life, 2014) estime pour sa part que les conséquences économiques des progrès technologiques les plus récents – qui sont plus importants que jamais – sont encore à venir. Par exemple, les avancées dans le domaine de l'intelligence artificielle sont très prometteuses, mais elles demeurent abstraites pour la communauté des économistes, comme pour le grand public. L’optimisme n’est pas encore sorti du cercle des acteurs directs des innovations : Sergey BRIN, le cofondateur de Google, n'hésite ainsi pas à déclarer que « nous ferons des machines qui raisonnent, pensent, et font les choses mieux que nous le pouvons ».
Selon le célèbre futurologue Jeremy RIFKIN, « la croissance naîtra d’une économie rénovée » (Les Echos, 2012), et cette nouvelle économie émergera de la convergence entre la révolution des technologies de communication, celle de l’énergie, et la mise en place des infrastructures appropriées.
La question de la nature et du moteur de la croissance de demain se pose néanmoins. Les considérations écologiques et le développement durable sont ainsi au cœur des réflexions actuelles sur la croissance. Pourtant, ces idées ne sont pas neuves : le rapport BRUNDTLAND de 1987 en proposait déjà une définition : « Le développement durable est un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs ». Beaucoup d’espoirs sont actuellement placés dans les technologies vertes et le « green business » pour permettre le retour à une croissance durable, à la fois riche en emplois et respectueuse de l’environnement.
[1] Cf. le chapitre « Statistiques d’actualité ».
[2] Cf. le chapitre « Statistiques d’actualité ».