La situation actuelle : crise, stress et flexibilité
Ceci est un article issu de livre L'essentiel de l'histoire économique publié en 2017 par Arnaud Labossiere.
La recherche de la flexibilité du marché du travail
Les politiques de l’emploi recherchent de plus en plus la flexibilité du marché du travail. En France, l’autorisation administrative de licenciement est par exemple supprimée en 1986.
Le modèle de référence a longtemps été la « flexisécurité » danoise mise en place par le plan WHILTAGEN (1993-2000) qui a fait passer le chômage de 9,6 % en 1993 à 6 % en 2001 en s’appuyant sur trois axes :
- des licenciements simplifiés pour les entreprises ;
- des allocations chômage généreuses ;
- la conditionnalité des allocations à un effort de formation.
Le succès de ce modèle en fera une source d’inspiration pour d’autres pays, et le rapport KOK (2004) de l’Union européenne, notamment, propose de repenser la stratégie de Lisbonne et ses objectifs de croissance et d’emploi en s’inspirant du modèle danois. En Allemagne, les réformes HARTZ (du nom de leur inspirateur, Peter HARTZ, alors directeur du personnel de Volkswagen), permettent entre 2003 et 2005, sous le gouvernement SCHRÖDER, de flexibiliser le marché du travail allemand et de réduire le chômage[1] (avec une meilleure résistance pendant la crise actuelle de 2008). Ces avantages sont toutefois obtenus au prix d’une précarisation des travailleurs les moins qualifiés : 7 % des travailleurs allemands sont ainsi des « working poors ».
Les qualifications : une variable clé sur le marché du travail
Il existe un dualisme du marché du travail entre les travailleurs qualifiés et les travailleurs non qualifiés. En France, le taux de chômage de ces derniers se situe autour de 20 %, et on estime que plus de 120 000 jeunes sortent du système scolaire sans qualification chaque année. De la même manière qu’il existe une différence en termes d’employabilité, il est aussi une différence au niveau du salaire. Le diplôme est en effet devenu un signal très important pour les employeurs. Paul KRUGMAN appelle cela la « prime à la qualification ».
L’emploi face à la mondialisation
Le commerce international et la mondialisation sont-ils foncièrement destructeurs d’emploi ? Interrogés, les Français sont plus de 70 % à répondre que la mondialisation est une mauvaise chose pour l’emploi. Robert REICH (L’économie mondialisée, 1991) explique cette perception en analysant le marché de l’emploi des PDEM : il y distingue ainsi les employés hautement qualifiés, qu’il appelle « manipulateurs de symboles », des moins qualifiés, les « travailleurs routiniers ». Les premiers tirent profit de la mondialisation alors que les seconds subissent la concurrence des travailleurs des pays à bas salaires.
BROWN, LAUDER et ASHTON (The Global Auction, 2010) constatent cependant une « globalisation des compétences » qui menace également les travailleurs qualifiés des PDEM. En effet, certains pays émergents se rapprochant de la frontière technologique, nombre de firmes multinationales (FMN) y délocalisent leur recherche et développement (R&D) au détriment des PDEM. L’Inde est ainsi le grand leader de ce marché de l’externalisation. Google y a par exemple installé son hub principal de R&D à Bangalore depuis les années 2000.
Chômage de masse, de longue durée, et spécificités nationales
« La fin du chômage » annoncée par le rapport BOISSONAT en 2001 paraît aujourd’hui on ne peut plus illusoire en France, où l’on compte plus de 3,5 millions de chômeurs[2] en 2015. La crise financière, puis économique, a certes entraîné une forte hausse du chômage dans le monde entier. En France, environ 260 000 emplois ont été détruits en 2009.
La période actuelle met cependant aussi en évidence des disparités nationales, car les marchés du travail nationaux se « remettent » plus ou moins difficilement de la crise[3]. L’analyse de Joseph A. SCHUMPETER, qui écrivait que « leurs marchés du travail [ceux des nations] sont organisés différemment », est donc toujours d’actualité.
Aux États-Unis, par exemple, le taux de chômage est retombé sous les 8 % en 2013 (5,4 % en 2015), contre 10 % deux ans auparavant), alors qu’il est toujours au-dessus de 11 % dans la zone euro – même si celle-ci présente par ailleurs des disparités. La situation européenne est d’autant plus critique que la crise des dettes publiques empêche désormais les États de jouer leur rôle d’« employeurs en dernier ressort » (selon la formule de Jeremy RIFKIN).
La révolution numérique et le monde du travail
La révolution numérique a perturbé le monde du travail. Plus précisément, elle menace certains métiers traditionnels en même temps qu’elle offre des opportunités inédites. Au sein des entreprises, les TIC ont augmenté sensiblement la productivité des salariés, avec par exemple les smartphones, Skype, ou les recherches Google. Il est néanmoins difficile de mesurer la contribution de ces technologies à la productivité des travailleurs. Pour Ricardo HAUSMAN (2015), cet obstacle tient au fait qu’un bon nombre de ces produits sont gratuits et qu’ils ont des externalités positives très élevées.
Les TIC permettent aussi de mettre en place une organisation du travail décentralisée. Certaines startups ont adopté ce schéma, comme Buffer (un logiciel pour gérer la publication de contenu sur les réseaux sociaux) ou Sketch (logiciel concurrent de Photoshop). Éparpillées dans plusieurs pays, leurs équipes se coordonnent avec des systèmes de messagerie comme Slack, ou plus simplement par e-mail. Plus généralement, travailler à distance est même devenu un art de vivre. Dans La semaine des quatre heures, Tim FERRISS a développé toute une méthodologie pour automatiser une grande partie de son travail et sous-traiter l’autre partie à des travailleurs des pays en développement depuis des plateformes en ligne.
Ces nouvelles manières de travailler créent un problème institutionnel. En France, par exemple, la Sécurité sociale a été conçue pour et pendant une période de plein emploi où les travailleurs étaient en CDI dans des grands groupes industriels. La nouvelle flexibilité, professionnelle et géographique, du monde du travail, qui inclut notamment le cumul d’activités (travailler à temps partiel comme chauffeur Uber à côté d’un CDI, par exemple) ne rentre pas dans le paradigme de la seconde moitié du XXe siècle de la Sécurité sociale. Celle-ci voit par ailleurs son financement remis en cause par l’optimisation fiscale dans laquelle s’engage l’économie numérique. Nicolas COLIN estime à ce propos que la France est à la croisée des chemins (Une protection sociale en phase avec l’économie numérique, 2015). Soit elle choisit un « scénario Thatcher » où l'inefficacité de la Sécurité sociale justifie sa suppression ; soit elle choisit un « scénario Roosevelt » - le plus souhaitable d’après l’auteur – consistant à réinventer l’institution, ou à en inventer de nouvelles.
[1] Il passe de 11,5 % en 2005 à presque 7 % avant la crise.
[2] En France métropolitaine.
[3] Cf. le chapitre « Statistiques d’actualité ».