La situation actuelle : incertitudes et inquiétudes
Ceci est un article issu de livre L'essentiel de l'histoire économique publié en 2017 par Arnaud Labossiere.
Les « classes moyennes à la dérive » et la peur du déclassement
Il est difficile de définir la classe moyenne. Interrogés sur leur appartenance sociale, 42 % des Français se revendiquaient de la classe moyenne en 2002, contre 22 % en 1966 (chiffres de Serge BOSC, dans Stratification et classe sociale, 2005).
La conception de classe moyenne a encore un peu plus perdu de son sens aujourd’hui. Louis CHAUVEL (Les Classes moyennes à la dérive, 2006) estime en effet qu’elle constitue un groupe très hétérogène, au sein duquel les salaires peuvent aller du simple au double. Au point de ne plus former véritablement un groupe ?
De plus, les individus qui se perçoivent comme appartenant à la classe moyenne ont été gagnés par une peur du déclassement, l’ancienneté et le diplôme ne suffisant plus à garantir leur ascension sociale. Le chômage de masse n’y est pas non plus pour rien : 300 000 salariés français en CDI ont perdu leur emploi pour la seule année 2009. Interrogés en 2006, 48 % des Français répondaient qu’ils pourraient devenir un jour SDF.
Les « super-riches », une classe mobilisée
« Les privilégiés sont une autre espèce d’homme, c’est à peine s’ils croient faire partie de la même humanité » déclarait déjà l’abbé SIEYÈS en 1789 dans Qu’est-ce que le tiers-état ?. Aujourd’hui, se demander si les « super-riches », ou les « 1 % » (selon la terminologie à la mode) constituent une classe sociale dotée de privilèges dignes de ceux de l’aristocratie d’Ancien Régime peut sembler pertinent : en 2014, les 85 personnes les plus riches du monde disposaient d’autant d’argent que la moitié de la population mondiale (soit 3,5 milliards d’individus). Une telle concentration de richesses entre les mains d’une minorité si petite est tout simplement inédite dans l’histoire de l’humanité.
Les couches sociales fortunées se caractérisent également par leur très forte tendance à la reproduction : les fortunes se transmettent ainsi de génération en génération, comme dans le cas de la famille américaine WALTON, propriétaire de Wallmart, et de son activisme pour défendre ses intérêts. En France, Michel PINÇON et Monique PINÇON-CHARLOT (Sociologie de la bourgeoisie, 2000) évoquent des « dynasties familiales » pour lesquelles « l’héritage reste souvent plus important que le mérite ». Ils estiment même que la bourgeoisie est le seul groupe social que l’on puisse toujours considérer comme une classe sociale.
Les pauvres ont vocation à le rester … et à causer des crises économiques ?
« Aujourd’hui, il est bien difficile pour des personnes qui ne disposent que de leur travail d’accumuler quoi que ce soit » constatent LANDAIS, PIKETTY et SAEZ (Pour une révolution fiscale, 2011). La création de richesses semble être réalisée au profit du sommet de la pyramide sociale. Entre 1998 et 2005, ainsi, le revenu des 0,01 % les plus riches a augmenté dix fois plus vite que le revenu des 90 % les plus pauvres.
Raghuram RAJAN (Fault Lines : How Hidden Fractures Still Threaten the World Economy, 2010) identifie la pauvreté persistante des ménages comme la cause de la crise financière de 2008 aux États-Unis. En effet, la richesse étant accaparée par une minorité, la classe politique a, en quelque sorte, acheté la paix sociale en permettant le développement du crédit pour les ménages les plus pauvres. Ces derniers ont pu continuer de consommer alors même que leur revenu stagnait.
Des discriminations persistantes à l’égard les femmes
En septembre 2008, l’Equality And Human Rights Commission de Grande-Bretagne recourait à la métaphore en expliquant que les femmes se heurtaient non pas à un plafond de verre, mais à un plafond en « béton armé ». En 2012, l’Union européenne montrait qu’à niveau hiérarchique égal, les femmes gagnaient en moyenne 16 % de moins que les hommes. Ainsi, des femmes comme Sheryl SANDBERG (directrice des opérations chez Facebook) ou Marissa MAYER (PDG de Yahoo) font figure tant d’exceptions que de modèles.
En France, d’après l’Observatoire des inégalités (2015), les femmes ont une espérance de vie supérieure (85 ans contre 78,5), elles font davantage d’études supérieures (57 % des étudiants), ont un taux de chômage légèrement inférieur (9,7 % contre 10 %) ; mais elles subissent davantage de temps partiel (8 % contre 3 %), elles occupent moins de postes à responsabilité et elles consacrent plus temps aux tâches domestiques (4 heures contre 2,5 heures).
Les banlieues
Les immigrés et les personnes d’origine étrangère sont également sujets aux discriminations. Vivant souvent dans des banlieues HLM – qualifiés par François DUBET de « quartiers d‘exil » – ils sont confrontés à un taux de chômage sensiblement plus élevé que le reste de la population : 24 % en 2014, soit deux fois et demie la moyenne nationale. Matthieu KASSOVITZ montre dans son film La Haine (1995) l’abandon dont souffrent les jeunes des banlieues et la violence (y compris policière) qui y règle. Le constat semble identique vingt ans plus tard.
Michel KOKOREFF et Didier LAPEYRONNIE (Refaire la cité. L’avenir des banlieues, 2013) pointent du doigt les ratés des politiques sociales, des politiques urbaines et de l’ambition d’intégration des banlieues. Elles ont en réalité contribué à une ghettoïsation, lente, mais bien réelle, culminant dans ce que les auteurs appellent « le troisième âge des banlieues ». À leurs yeux, certains habitants des banlieues ont même fini par intérioriser les clichés dont ils sont victimes depuis des années. Si le problème monopolise l’actualité à intervalles réguliers, il est présent depuis les années 1970, en raison de la conjonction de la fin de la construction des grands ensembles, du délitement de la classe ouvrière, et de la montée du chômage.
La « mondialisation des inégalités »
« La mondialisation est un puissant processus de redistribution des inégalités internationales et sociales, faites d’émergences rapides et de décrochages », écrit Pierre-Noël GIRAUD (La Mondialisation. Émergences et Fragmentations, 2008). Cette définition met donc en évidence un lien entre la mondialisation et les inégalités. Regardant en arrière, François BOURGUIGNON observe qu’au XIXe siècle, la première mondialisation s’était traduite par une hausse des inégalités entre les pays (La mondialisation de l’inégalité, 2012).
La période actuelle est toutefois différente : depuis une trentaine d’années, en effet, la hausse des inégalités est tirée par une hausse des inégalités au sein même des pays. Dans les PDEM, la mondialisation a créé des inégalités entre les travailleurs dotés de compétences pointues (avocats, ingénieurs, etc.) et les travailleurs moins qualifiés. Pour ces derniers, la concurrence avec les pays à bas salaires exerce une pression à la baisse sur les salaires, générant ainsi un chômage accru (Are Your Wages Set in Beijing ?, Richard. B. FREEMAN, 1995).
Dans les PED, des inégalités profondes sont apparues entre une élite qui a accaparé les richesses au moment même où le pays s’ouvrait au commerce international et le reste de la population. Les « princes rouges » chinois, qui sont les descendants des hauts dirigeants du Parti communiste accédant aux pouvoirs politique, économique et militaire, en constituent un bon exemple.