La situation actuelle : spéculation sur les monnaies, retour de la guerre des monnaies
Ceci est un article issu de livre L'essentiel de l'histoire économique publié en 2017 par Arnaud Labossiere
Spéculation sur les devises
Avec l’avènement des changes flottants, les devises sont devenues des placements financiers très appréciés des spéculateurs. C’est ainsi que le marché des devises, le Forex, est devenu très spéculatif. Il s’y échange quotidiennement plus de cinq mille milliards de dollars (plus de deux fois le PIB français).
À court et moyen termes, les fluctuations des changes dépendent des « news » et de leur interprétation par les marchés financiers. Ils ne suivent donc pas les fondamentaux, ce pourquoi MEESE et ROGOFF parlaient dès 1983 d’une « marche au hasard » des taux de change dans leur article Empirical Exchange Rate Models of the Seventies.
Le fait que le « fanatisme du marché » gouverne le marché des changes comme l'économie mondiale ne semble pas alarmer les institutions financières internationales, juge sévèrement STIGLITZ. Car après tout, « ce que la communauté financière juge bon pour l’économie mondiale est bon pour l’économie mondiale, et il faut le faire » déplore le prix Nobel d’économie de 2001.
Le dollar, une monnaie internationale et un nouveau dilemme de Triffin…
Paul KRUGMAN montre dans Currency Crisis (1991) qu’une monnaie internationale remplit les trois fonctions identifiées par ARISTOTE à l’échelle internationale, à savoir être une unité de compte internationale (par exemple, pour le pétrole) ; être un moyen de paiement pour les règlements internationaux ; et être une réserve de valeur. Aucune autre monnaie que le dollar ne remplit aussi bien ces trois fonctions.
Le rôle prééminent du dollar dans le système financier international n’a pas disparu avec la fin du système de Bretton Woods, bien au contraire. Barry EICHENGREEN (Exorbitant Privilege: The Rise and Fall of the Dollar and the Future of the International Monetary System, 2011) parle d’un nouveau « dilemme de Triffin ». Et pour cause, « si les États-Unis refusaient de fournir des dollars aux autres pays, les échanges commerciaux stagneraient et la croissance serait étouffée. Mais s’ils fournissaient des dollars en quantité illimitée pour lubrifier la croissance et les échanges, la confiance dans leur engagement à les convertir en or s’en trouverait érodée ». Les réserves de change actuelles sont constituées à plus de 60 % en dollar et la moitié des obligations émises dans le monde le sont également.
…ou un glissement vers un polycentrisme monétaire
Avec la création de l’ECU (1979), puis de l’euro (1999) d’un côté, et la montée en puissance du yen japonais et du yuan chinois de l’autre, la place du dollar dans le système monétaire et financier international est atténuée. En 1990, Michel AGLIETTA constatait dans La Globalisation financière : l’aventure obligée l’existence d’un « polycentrisme monétaire » avec trois devises clés : le dollar, l’ECU et le yen.
Le yuan semble aujourd’hui avoir détrôné le yen et l’euro a remplacé l’ECU. Agnès BÉNASSY-QUÉRÉ et Jean PISANI-FERRY montrent donc dans le rapport du Conseil d’Analyse économique de septembre 2011 intitulé Pourquoi reformer le système monétaire international ? que l’internalisation du yuan et de l’euro permet précisément de diluer le dilemme de TRIFFIN.
Le retour de la guerre des monnaies
Il est tentant, en période de crise et d’« obsession de la compétitivité » (KRUGMAN), d’utiliser la variable monétaire pour stimuler ses exportations, et donc la croissance. Dans le système actuel de changes flottants, les pays ne peuvent pas dévaluer (car dévaluer consiste à changer la parité de la monnaie dans un système de changes fixes), mais les États peuvent exercer une pression à la baisse sur le cours de leur monnaie, en utilisant par exemple leurs réserves de changes (le stock de devises étrangères détenues par une banque centrale).
La Chine détient ainsi près de 3 600 milliards de dollars de réserves de change (2015), et elle les utilise pour maintenir le yuan à un niveau excessivement bas par rapport au dollar, suscitant par-là les reproches des États-Unis. La monnaie chinoise est en effet sous-évaluée d’environ 40 % par rapport au dollar et de 50 % par rapport à l’euro.
On craint donc aujourd’hui un retour à la guerre des monnaies, un conflit économique dans lequel tous les pays chercheraient à renforcer leur compétitivité prix en faisant chuter le cours de leur monnaie. Patrick ARTUS et Marie-Paule VIRARD (La liquidité incontrôlable : Qui va maîtriser la monnaie mondiale ?, 2010) montrent ainsi que le SMI risque de sombrer dans une « guerre dévastatrice des taux de change ».
La réforme de la gouvernance monétaire mondiale
« Pas de gouvernement mondial, donc pas de banque centrale mondiale, donc pas de monnaie mondiale. Point final » affirme péremptoirement Barry EICHENGREEN. Ainsi, l’absence de gouvernance monétaire mondiale est un problème important, qui empêche notamment toute forme de régulation et qui handicape la coopération monétaire internationale.
Ce ne sont pourtant pas les propositions de réforme qui manquent. En novembre 2010, par exemple, le président de la banque mondiale Robert ZOELLICK a créé la polémique en suggérant de revenir à l’étalon-or pour stabiliser les anticipations des agents quant à l’inflation et à la variation des taux de change. Une autre piste de réforme stabilisatrice serait de taxer les mouvements internationaux de capitaux à court terme avec la dénommée « taxe TOBIN ». Comme le rappelle André ORLÉAN dans L’Empire de la valeur (2011), l’idée de taxer les flux internationaux de capitaux n’est cependant pas récente : J. M. KEYNES la proposait déjà en 1936 au chapitre 12 de sa Théorie générale.
Shashi THAROOR (Taking The BRICS Seriously, 2015) reproche aux institutions internationales d'être captives des intérêts occidentaux. Il n'est pas normal, avance-t-il, que la Chine n'ait pas plus de droits de vote au FMI ou à la Banque mondiale qu'un pays comme la Belgique. Il prédit que si les règles du jeu ne deviennent pas plus transparentes et plus équitables pour les PED, ces derniers créeront alors leur propre ordre mondial. Cette évolution est déjà entamée avec la création, en juillet 2015, de la banque mondiale des BRICS (intitulée « nouvelle banque de développement » et basée à Shanghai), voulue comme une alternative à la domination financière occidentale. Pour la présidente du Brésil, Dilma ROUSSEFF, « ces initiatives montrent que nos pays sont engagés dans une association solide et productive, malgré leur diversité ».