La situation actuelle : spéculation et innovations agricoles
Ceci est un article issu de livre L'essentiel de l'histoire économique publié en 2017 par Arnaud Labossiere
La spéculation sur les matières premières
Les matières premières sont devenues de véritables placements spéculatifs. En 2010, les spéculateurs ont échangé 46 fois la production annuelle mondiale de blé et 24 fois celle du maïs, provoquant ainsi des flambées et des effondrements des cours.
Et ces variations ne sont pas sans danger : entre 2006 et 2008, le prix du blé double… provoquant ainsi les émeutes de la faim de 2008 en Afrique. En 2016, ce sont les marchés à terme de matières premières chinois qui entrent en ébullition, forçant les autorités à freiner l’effervescence.
Olivier de SCHUTTER, rapporteur spécial de l’ONU sur le droit à l’alimentation, a donc placé la régulation des marchés agricoles parmi les cinq priorités pour renforcer la sécurité alimentaire dans le monde.
Nourrir le monde : les innovations agricoles
L’organisation non gouvernementale Global Footprint Network calcule tous les ans la date de l’Earth Overshoot Day, c’est-à-dire la date à partir de laquelle l’humanité consommera plus qu’elle ne produit. La question « comment nourrir le monde ? » n’a donc pas disparu avec MALTHUS, loin de là… Il y a aujourd’hui plus de sept milliards d’humains sur terre, et le seuil des neuf milliards sera atteint en 2050 (selon les prévisions de l’ONU). La question est donc de savoir comme nourrir l’humanité, en prenant en compte le fait que près de 30 % de la nourriture produite pour la consommation humaine est perdue ou gaspillée (selon la FAO en 2010).
La seule réponse à ces circonstances démographiques n’est pas forcément, contrairement à l’intuition malthusienne, de réduire la population. Comme l’a montré Ester BOSERUP dès 1965 dans Évolution agraire et pression démographique, l’accroisse-ment de la population par rapport aux terres cultivables disponibles est en réalité source de progrès technique. Elle appelle cela la « pression créatrice ».
Les OGM sont aujourd’hui un exemple – certes très controversé – d’une innovation agricole pouvant permettre de répondre aux défis alimentaires contemporains et futurs. En l’état actuel, 90 % des producteurs utilisant des OGM vivent dans des pays en voie de développement (d’après les chiffres du gouvernement québécois).
La controverse des OGM : le cas du riz doré
Le « riz doré » est l’un des exemples les plus représentatifs des débats liés aux OGM. À l’origine du projet, deux chercheurs ont voulu traiter le problème de la carence en Vitamine A, qui touche 140 à 250 millions d’enfants des pays émergents et est la première cause de cécité au sein de cette population. Les médicaments constituant une solution coûteuse, ils ont créé en 2000, grâce à des financements européens, le premier riz enrichi en bêta-carotène, dit « riz doré ».
Ce projet représente d’une part une prouesse technique, car l’innovation repose sur la manipulation de gènes ; et il a aussi déclenché, d’autre part, un élan de solidarité : 70 brevets appartenant à des organismes publics, mais aussi des sociétés comme Monsanto ou Syngenta, ont été accordés sous licences libres pour une vente du riz sans taxe de propriété intellectuelle. Le projet a été repris par la société Syngenta, laquelle s’engage à ne pas demander de participation financière à tout producteur ne dégageant pas plus de 10 000 dollars de bénéfice annuel. Elle a par la même occasion amélioré la teneur en vitamine A de son riz (il contient 23 fois plus de bêta-carotène que le modèle d’origine).
Si le projet a connu une importante résonance médiatique (il a reçu plusieurs prix, dont le Patents for Humanity Award en 2015 aux États-Unis), il n’est pas encore achevé ; c’est pourquoi le riz n’est pas encore disponible. Il est encore en phase d’essais aux Philippines, et sa commercialisation est retardée par des activistes anti-OGM qui font pression et saccagent les champs à l’essai.
Gérer les externalités négatives : la conscience écologique
Mathis WACKERNAGEL et William REES (Notre empreinte écologique, 1999) ont introduit le concept d’« empreinte écologique » : il s’agit de la charge concrète qu’impose à la nature une population. Ainsi, traiter des matières premières, les exploiter et les utiliser implique aussi de s’intéresser aux conséquences de son activité, et en particulier aux externalités négatives. On peut définir celles-ci comme la conséquence de l'activité d'un agent économique sur un autre qui ne soit pas prise en compte par les mécanismes du marché (notamment le prix). En particulier, une externalité « négative » affecte négativement un agent sans que celui-ci ne soit directement dédommagé.
Il existe deux solutions pour intégrer les externalités négatives dans le mécanisme des prix :
- La première, que l’on doit à Ronald COASE, est la création d’un marché des droits à polluer : c’est ce qu’ont fait les États-Unis en 1970 avec le Clean Air Act.
- La deuxième (d’Arthur Cecil PIGOU) est de taxer les pollueurs (principe du « pollueur-payeur »). La taxe carbone (prévue en France, puis finalement abandonnée) en est un exemple.
L’obtention de résultats significatifs est cependant suspendue à une réflexion à l’échelle internationale ; c’est pourquoi les projets doivent être acceptés par le plus grand nombre d’États possible. Le protocole de Kyoto (1995) s’inscrivait par exemple dans cette logique. Les résultats sont cependant décevants : les émissions mondiales de CO2 sont passées de 29 milliards de tonnes en 2005 à 37 milliards en 2013 (+ 28 %). L’échec du sommet de Copenhague en 2009 montre cependant la difficulté à trouver une position consensuelle qui soit efficace en termes de limitation de la pollution. Les pays en développement voient pour leur part d’un mauvais œil les mesures environnementales proposées par les PDEM : ils les interprètent comme des freins potentiels à leur croissance.
La transition énergétique
Faut-il renoncer à l’énergie nucléaire ? Au pétrole ? Ou aux deux en même temps ? Mais peut-on vraiment se le permettre ? Le concept de « transition énergétique » est aujourd’hui sur toutes les lèvres, et les énergies vertes gagnent en importance. Par exemple, Jeremy RIFKIN explique dans une interview au quotidien Les Echos en 2013 que l’Allemagne avait atteint 20 % d’électricité verte dès 2011, et était bien partie pour atteindre les 35 % en 2020.
L’ancien président du directoire d’AREVA Luc OURSEL déclarait également en 2013 que « la transition énergétique est une nécessité et un défi » pour Areva, qui avait alors réalisé 600 millions d’euros de chiffres d’affaires en 2012 sur le renouvelable (en ne partant de rien seulement cinq ans auparavant). Il en a profité pour insister sur la défense de la compétitivité des technologies vertes françaises : « Comment être compétitif face à la Chine et la Corée du Sud si l’on transfère notre expertise ? » se demandait-il.