Le XIXe siècle : capitalisme, entrepreneur et manager
Ceci est un article issu de livre L'essentiel de l'histoire économique publié en 2017 par Arnaud Labossiere.
L’apparition de l’entreprise capitaliste
Selon François PERROUX, l’entreprise est « le microcosme capitaliste, l’institution cardinale du capitalisme ». Il entend par là qu’elle est au cœur de la production de richesse.
D’un point de vue institutionnel, l’entreprise (telle que nous la connaissons) fait son apparition avec « la fin des réglementations du Moyen-Âge » (d’après l’expression d’Arnold TOYNBEE).
En France, par exemple, c’est l’abolition des corporations pendant la Révolution française, avec le décret d’ALLARDE de 1791, qui rend véritablement possible la liberté d’entreprise.
Ensuite, le concept de « société anonyme » est introduit sous NAPOLÉON en 1800 : les ordonnances de Colbert de 1673 qui soumettaient à autorisation administrative la création de sociétés de différents types sont alors annulées. En 1863, enfin, la création de sociétés anonymes est affranchie de toutes contraintes.
Ces évolutions juridiques ne manquent pas néanmoins de susciter des inquiétudes : dès 1862, Augustin COCHIN (La Condition des ouvriers français) s’interrogeait sur la perte de repères des ouvriers soumis à ces « maîtres sans visage », autrement dit aux propriétaires de l’entreprise, les actionnaires.
La figure de l’entrepreneur
« L’entrepreneur est un homme dont les horizons économiques sont vastes et dont l’énergie est suffisante pour bousculer la propension à la routine et réaliser des innovations » écrit Joseph A. SCHUMPETER. Pour celui-ci, l’entrepreneur innovateur est un personnage héroïque qui bouleverse le monde dans lequel il vit, ainsi que ses structures économiques (Théorie de l’évolution économique, 1912).
La révolution industrielle est riche de telles figures. Richard ARKWRIGHT (1732-1792), qui fait breveter le Water frame (machine à filer utilisant l’énergie des moulins à eau) en 1768, est l’incarnation même de l’entrepreneur schumpetérien. L’historien Paul MANTOUX (Histoire de la révolution industrielle au XVIIIe siècle) décrit « cette fortune acquise en peu d’années, ce succès sans précédent d’un homme parti de rien » en précisant bien que « ce n’est pas un inventeur : il a tout au plus arrangé, combiné et utilisé les inventions d’autrui » ; mais pour cela : « il lui fallut un talent remarquable d’homme d’affaires, un mélange singulier d’habileté, de persévérance et d’audace ».
De l’entrepreneur aux managers
Dès les années 1880, en Allemagne et aux États-Unis, la taille des entreprises grandit en raison de la concentration industrielle. À la tête de ces organisations, les managers prennent le relais des entrepreneurs. On peut définir ceux-là avec Alfred MARSHALL comme les « organisateurs du travail des autres ».
Alfred CHANDLER parle alors d’une « main visible des managers » (par opposition à la « main invisible du marché » chez Adam SMITH) qui façonne l’économie à partir de la Grande Dépression (1873-1896). Alfred SLOAN, qui fut PDG de General Motors de 1923 à 1956, en est l’exemple canonique : diplômé du prestigieux MIT, il est un cadre d’entreprise qui a grimpé les échelons et implémenté des changements organisationnels importants. L’apparition des managers entraîne l’émergence des écoles de commerce. L’ESCP est créée en 1819 par l’économiste Jean-Baptiste SAY, et HEC plus tardivement en 1881.
L’entreprise : un lieu de conflit
L’entreprise est un lieu de conflit social. La faiblesse des salaires (soumis à la loi d’airain des salaires et qui peuvent chuter de plus de 20 % pendant les crises), les mauvaises conditions de travail (critiquées notamment par le rapport VILLERMÉ[1] de 1840, intitulé Tableau de l'état physique et moral des ouvriers), mais aussi l’introduction du progrès technique, sont à l’origine de violents conflits dans l’entreprise, comme la révolte des canuts (des artisans de la soie) à Lyon en 1831.
La classe ouvrière s’organise efficacement pour défendre ses intérêts dans la seconde moitié du siècle. Les syndicats français ayant obtenu une existence légale en 1864, ils mènent la lutte. Comme l’écrit l’historien Gérard NOIRIEL, « les syndicats, à partir du moment où ils sont légalisés, voient leurs effectifs augmenter considérablement ». La seule Confédération générale du travail (CGT) créée en 1895 revendique en 1911 plus d’un million d’adhérents, ce qui est considérable (la France ne comptait alors que 41 millions d’habitants).
Au fil du siècle, la question sociale et les luttes ouvrières amèneront l'État à légiférer en faveur du monde du travail. En Angleterre, le Factory Act de 1833 limite à neuf heures par jour le travail des enfants de moins de treize ans. Des inspecteurs sont nommés pour vérifier les conditions de travail dans les usines, et, en 1844, il est interdit aux entreprises de faire nettoyer des machines encore en marche par des femmes ou des enfants.
[1] Dans son rapport, VILLERMÉ décrit comment, dans les établissements DOLLFUS-MIEG de Mulhouse, de jeunes filles travaillent de 5h à 23h.