Le XIXe siècle correspond à la naissance des systèmes financiers et bancaires « modernes »
Ceci est un article issu de livre L'essentiel de l'histoire économique publié en 2017 par Arnaud Labossiere.
De la « haute banque » aux banques commerciales
En France, la « haute banque » domine la première moitié du XIXe siècle. Il s‘agit de grandes familles (comme les LAFFITTE ou les ROTHSCHILD) dont l’activité première est de prêter à l’État. Elles rechignent cependant à financer le développement industriel.
Si les premières grandes banques de dépôt apparaissent en Angleterre dès les années 1820 pour drainer l’épargne du pays et l’orienter vers les projets industriels, il faut attendre en France le lendemain de la crise de 1848 pour que des banques commencent à se focaliser sur le financement de l’industrie. On peut citer par exemple le Crédit mobilier des frères Isaac et Emile PEREIRE, créé en 1852, ou la Société Générale créée en 1864. Alexander GERSCHENKRON (Economical backwardeness in Historical Perspective, 1962) montre que l’État allemand encourage un rapprochement entre les banques et l’industrie pour favoriser la concentration industrielle et le développement des entreprises industrielles : « On avait coutume de dire qu’une banque allemande accompagnait une entreprise industrielle du berceau jusqu’à la tombe ».
La naissance des banques centrales
La Banque d’Angleterre est créée en 1694, la Banque de France en 1800, tandis que la Fed n’apparaît qu’en 1913. Elles vont progressivement étendre leur pouvoir pour tenter de mettre fin à l’anarchie bancaire. Comme le montrent AGLIETTA et ORLÉAN (La violence de la monnaie, 1982), le développement des banques centrales substitue à un système fractionné un système homogénéisé : il s’agit d’un système pyramidal où les banques commerciales, ou banques « de second rang », sont placées sous l’autorité de la banque centrale.
En Grande-Bretagne, par exemple, le Bank Charter Act de 1844 est mis en place pour éviter que ne surviennent des faillites bancaires. Il oblige les banques de second rang à conditionner l’offre de monnaie aux réserves en or dont elles disposent. Cette loi signe la victoire des principes de la Currency school, qui estime que l’émission de billets de banque doit être proportionnelle à la quantité d’or détenue dans les réserves de la Banque d’Angleterre en vue d’éviter toute inflation. Elle signe du même coup la défaite de la Banking School, pour laquelle la quantité de monnaie en circulation doit avant tout dépendre des besoins des agents économiques – la masse monétaire doit alors être adaptée aux besoins des affaires (le métal importe peu).
À la fin du siècle, les banques centrales apparaissent comme des institutions gestionnaires de crises, car elles jouent le rôle de prêteur en dernier ressort pour sauver les établissements en crise de liquidité (comme le préconise Walter BAGEHOT dans Lombard Street en 1873). La banque d’Angleterre vient par exemple en aide à la Barings en 1890 et empêche sa faillite.
Le XIXe siècle est marqué par la récurrence des crises financières
La faiblesse de la réglementation et l’instabilité de l’éco-nomie donnent lieu à de violentes paniques boursières et crises financières. Ces mécanismes existaient déjà bien avant le XIXe siècle. Après la crise des mers du Sud, à Londres en 1721, un député britannique proposera une loi visant à « enfermer les banquiers dans des sacs remplis de serpents et de les jeter dans la Tamise ».
Parmi les crises qui ont jalonné le XIXe siècle, on peut par exemple citer celle survenue en Angleterre en 1825, ou la crise de 1848 (à cause de la spéculation sur les chemins de fer). Ces crises ont souvent pour conséquence une ruée aux guichets, suivie de faillites en cascade, comme lors de la Grande Dépression (1873-1896), avec notamment la faillite du Comptoir national d’escompte de Paris (ancêtre de BNP Paribas) en 1889, ou celle de la Barings en Angleterre (1890). D’après l’historien Jean BOUVIER (Le krach de l’Union Générale, 1960), certaines banques ne sont pas secourues par l’État pour des motifs politiques. C’est le cas de l’Union générale, une banque créée et administrée par des catholiques royalistes, que les républicains modérés de la IIIe République ont refusé de secourir.
Les crises financières sont aussi et surtout dues à la capacité du marché à contourner les réglementations. Pierre-Cyril HAUTCOEUR (The Paris financial market in the XIXth century : Complementarities and competition in microstructures, 2012) prend comme exemple le marché de la « coulisse » à Paris. Il s’agit d’un marché auto-institué pour contourner le monopole des agents de change sur les transactions boursières. Ce marché est interdit en 1859, mais il continue d’exister, si bien que le régulateur finit par lui accorder une existence légale en 1893. Dans cet exemple, le marché l’a emporté sur la réglementation.
Une première globalisation financière autour de la Grande-Bretagne
À l’échelle internationale, les relations entre les monnaies (nationales) sont régies par le système de l’étalon-or, qui se généralise après 1873. Ce système est adopté par l’Allemagne en 1871, puis par la France en 1876. Karl POLANYI estime que ce système ne fut possible que parce que l’or était « la foi de l’époque », alors que, désormais, « le commerce était lié à la paix » (La Grande Transformation, 1944). La Grande-Bretagne devient rapidement le centre du système monétaire international, dès lors que ce sont les banques anglaises qui organisent le financement à l’échelle mondiale : le financement se fait donc en livre sterling.
On constate sur la fin du siècle de forts mouvements internationaux de capitaux : ils s’expliquent par le développement des premières firmes multinationales, lesquelles réalisent déjà des investissements directs à l’étranger (IDE[1]) et des investissements de portefeuille. Parmi ces flux de capitaux, certains investissements dans les colonies sont très rémunérateurs, comme le met en évidence LEROY-BEAULIEU (De la colonisation chez les peuples modernes, 1874).
[1] Les investissements directs à l'étranger sont selon la Banque de France « des investissements internationaux par lesquels des entités résidentes d'une économie acquièrent ou ont acquis un intérêt durable dans une entité résidente d'une économie autre que celle de l'investisseur ».