Le XIXe siècle : de l’État gendarme à l’État-nation
Ceci est un article issu de livre L'essentiel de l'histoire économique publié en 2017 par Arnaud Labossiere.
L’État précède le marché
Au XIXe siècle, le libéralisme constitue le discours dominant : « l’État est toujours mauvais chef de famille » déclare ainsi le philosophe et historien français Hyppolite TAINE. Sa conception était alors celle d’un État gendarme, dont le rôle se limite aux fonctions régaliennes (police, justice et armée).
Dans les faits, pourtant, l’État joue un rôle fondamental dans la vie économique. Karl POLANYI montre ainsi dans La Grande Transformation (1944) que le marché, loin d’être un ordre spontané tel qu’il est pensé par HAYEK, est au contraire une réalité instituée par l’État à travers des lois et des règlements. La garantie de la propriété privée (en France, par exemple, avec la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789) ou de la libre entreprise (avec le Code civil de NAPOLÉON) est fondamentale pour l’activité économique. À la fin du siècle, l’État fédéral américain va même intervenir pour préserver le processus concurrentiel avec les lois anti-trust (le Sherman Act de 1890).
Moteur de l’industrialisation
La révolution industrielle ne s’est pas faite indépendamment de l’État, ni en France ni en Allemagne, en Russie, ou encore aux États-Unis. Dans l’Hexagone, les industriels et les financiers n’agissaient pas en ignorant les pouvoirs publics, qu’« ils servaient et dont ils se servaient » (François PERROUX).
Alexander GERSCHENKRON (Economic Backwardness In Historical perspective, 1962) voit dans l’État un moyen de remplacer une classe d’entrepreneurs inexistante. Il prend l’exemple de la Russie, où le baron Sergeï WITTE, ministre des Finances de 1893 à 1903, attire des capitaux et des ingénieurs étrangers, organise la construction d’usines et d’infrastructures. La nation emprunte 275 millions de roubles auprès de la France et de la Belgique entre 1895 et 1899 pour financer son développement industriel. En 1914, ainsi, 50 % des capitaux présents dans le pays sont étrangers, et la nation parvient à fabriquer plus de 40 % des rails qu’elle utilise pour ses chemins de fer.
Mise en place de l’État-nation
« Ce n’est pas par des discours et des décisions prises à la majorité que le plus grand problème du temps sera réglé, ce sera par le fer et par le sang ». C’est ainsi, avec pédagogie, qu’Otto von BISMARCK, ministre-président du royaume de Prusse, résume sa feuille de route, laquelle mènera à l’unification de l’Allemagne autour de la Prusse après la défaite de NAPOLÉON
III. L’Allemagne avait déjà franchi un premier obstacle en 1834, avec la mise en place du Zollverein, une union douanière et commerciale, la « réussite du XIXe siècle » selon Charles KINDLEBERGER.
Le XIXe siècle voit aussi l’unification progressive de l’Italie après de nombreuses guerres. Le royaume d’Italie est proclamé en 1861, et Rome en devient la capitale dix ans plus tard, après son annexion, provoquant ainsi une fracture entre l’État italien et l’Église. L’État-nation français s’est pour sa part construit plus progressivement, depuis l’extension du pouvoir monarchique au Moyen-Âge, en passant par la Révolution, jusqu’aux consolidations successives du XIXe siècle.
La naissance de l’État-providence et la réponse à la question sociale
Au XIXe siècle, la violence de la question sociale contraint l’État à intervenir en encadrant le monde du travail, comme avec la loi GUIZOT de 1841 sur le travail des enfants, ou encore avec l’instauration de la responsabilité patronale en cas d’accident en 1898. L’État fait aussi une place plus grande au système éducatif. En France, c’est tout particulièrement l’objectif des lois FALLOUX (1850), sur la liberté d’enseignement, et FERRY (1881), qui créent l’école laïque, gratuite et obligatoire, prise en charge par des instituteurs, surnommés les « hussards noirs de la République » (Jules FERRY).
En Allemagne, les années 1880 voient naître une première forme d’État-providence avec le développement du système des d’assurances. À l’origine de ces lois, BISMARCK y était favorable non pour des raisons économiques ou sociales, mais bien politiques. Il s’agissait en effet de se bâtir une légitimité sociale pour couper l’herbe sous les pieds aux démocrates : « messieurs les démocrates joueront de la flûte quand le peuple se rendra compte que le souverain s’occupe mieux de ses intérêts ».