Le XIXe siècle : des bouleversements violents des structures sociales
Ceci est un article issu de livre L'essentiel de l'histoire économique publié en 2017 par Arnaud Labossiere.
L’affranchissement relatif des peuples
La nuit du 4 août 1789, l’Assemblée constituante (composée des députés des États généraux) met fin à tous les privilèges féodaux. C’est la société d’ordres de l’Ancien Régime qui disparaît avec cette mesure : tous les Français sont dorénavant des citoyens égaux devant la loi.
Ainsi se réalise le souhait du tiers état, tel que le formule l’abbé SIEYÈS « Qu’est-ce que le tiers état ? Tout. Qu’a-t-il été jusqu’à présent dans l’ordre politique ? Rien. Que demande-t-il ? À être quelque chose. » (Qu’est-ce que le tiers-état, 1789).
Cette vague d’affranchissement, qui avait déjà commencé en Angleterre (révolutions de 1641-1649 et 1688-1689), se propage en Europe et aux États-Unis, où LINCOLN abolit l’esclavage en 1865 : le treizième amendement à la Constitution stipule que « ni esclavage, ni aucune forme de servitude involontaire ne pourront exister aux États-Unis, ni en aucun lieu soumis à leur juridiction ».
La classe ouvrière et la question sociale
Cet affranchissement des peuples ne se fait toutefois pas sans difficulté. Comme l’écrit LAMENNAIS en 1838, « au moins l’esclave était entretenu pour survivre, alors que l’ouvrier est laissé à lui-même, abandonné, il n’appartient à personne. ». À la société d’ordres succède rapidement une société de classes en raison du développement de la classe ouvrière. Ainsi, MARCHAND et THELOT (Le Travail en France, 1800-2000, 2000) montrent que la formation de la classe ouvrière est « le trait le plus marquant de l’évolution de la structure sociale durant la seconde partie du XIXe siècle ». C’est l’œuvre de la révolution industrielle, laquelle suscite un exode rural et agglomère cette main-d’œuvre bon marché dans les grands centres urbains.
Les ouvriers sont unis par leurs conditions de vie et de travail extrêmement précaires. Le terme de « question sociale » regroupe les interrogations et préoccupations, aussi bien politiques que philosophiques, qui découlent de ce dénuement extrême d’une partie toujours plus grande de la population. Par ailleurs, le très fort immobilisme social résultant de l’industriali-sation du XIXe siècle est également très préoccupant. Comme l’exprime avec désespoir SISMONDI : « désormais les ouvriers naissent et meurent ouvriers ».
La bourgeoisie conquérante
Seule une partie minoritaire de la population tire son épingle du jeu avec l’industrialisation : la bourgeoisie. C’est pourquoi l’historien Charles MORAZÉ parle de « bourgeois conquérants » qui accaparent les pouvoirs économique, financier et politique au cours du XIXe siècle. En France, ce processus se fait bien sûr au détriment de la noblesse déchue.
Les industriels comptent parmi les grands noms de la bourgeoisie, comme SCHNEIDER avec ses usines du Creusot (Bourgogne) en France, ou KRUPP en Allemagne. Aux États-Unis, les Andrew CARNEGIE (acier), William VANDERBILT (chemins de fer), ou J. P. MORGAN (banque) façonnent une économie en pleine ébullition en bâtissant des empires industriels et financiers quasi inédits dans l’histoire de l’humanité. Le magazine Challenge a ainsi calculé en 2012 ce que représenterait la fortune de John D. ROCKEFELLER en devises actuelles : 200 milliards de dollars. Dans les périodes de crise, cette richesse apparaît indécente aux yeux de l’opinion publique, qui les qualifie alors de « barons voleurs » (« robber barons »).
La lutte des classes
Contemporain de la révolution industrielle et de la question sociale, Karl MARX analyse ce qu’il appelle le « système capitaliste » en décrivant la formation de deux grandes classes sociales : le prolétariat et les capitalistes en lutte pour le partage de la valeur ajoutée. Les capitalistes forment la classe dominante, tandis que le prolétariat est exploité. Ces deux classes sont inéluctablement condamnées à s’affronter, et tel est même le moteur de l’Histoire. Le philosophe écrit ainsi avec Friedrich ENGEL dans Le Manifeste du parti communiste (1848) que « l’histoire de toute société jusqu’à nos jours est l’histoire de la lutte des classes ».
La forte croissance de la classe ouvrière inquiète sérieusement les élites de l’époque. Pour Louis CHEVALIER (Classes laborieuses, classes dangereuses à Paris pendant la première moitié du XIXe siècle, 1958), ces ouvriers entassés dans les grands centres industriels représentent une réelle menace aux yeux de la France des notables : « Les barbares qui menacent la société ne sont point au Caucase ou en Tartarie, ils sont dans les faubourgs de nos villes manufacturières », fait-il dire à cette France bourgeoise.
La solidarité face à l’urbanisation
L’urbanisation des populations est une autre caractéristique de la révolution industrielle. En effet, les masses affluent vers les villes dans un véritable exode rural. Aux États-Unis, la population urbaine passe de 20 % en 1870 à 50 % en 1930, ce qui témoigne de la rapidité du phénomène. Louis de BONALD (De la famille agricole et de la famille industrielle, 1826) met en avant les différences de mentalité entre la société rurale, plus traditionnelle, et la société urbaine, bien plus individualiste.
L’urbanisation affecte profondément les formes de solidarité entre les individus. Émile DURKHEIM (De la division du travail social, 1893) met en évidence le passage d’une solidarité mécanique à une solidarité organique. Liée à la tradition, la première est holistique (le tout dépasse la somme des parties). Dans la seconde, les liens sociaux traditionnels s’effacent. Les individus ne sont désormais plus liés que par le processus productif : c’est le règne de la division du travail et de l’individualisation.
Les débuts de la classe moyenne
Serge BOSC (Sociologie des classes moyennes, 2008) montre que la classe moyenne est une notion apparue au XIXe siècle. Il s’agit d’une couche moyenne, entre l’aristocratie privée de ses droits (après la Révolution) et le prolétariat naissant (l’an-cien tiers-état). On peut par exemple y ranger les salariés non manuels et les « cols blancs ».
Alexis de TOCQUEVILLE (De la démocratie en Amérique, 1835) évoque une « multitude d’hommes presque pareils qui, sans être précisément ni riches ni pauvres, possèdent assez de biens pour désirer l’ordre et n’en ont pas assez pour exciter l’envie ». Cette classe moyenne va tirer la consommation, comme celle du textile dans les grands magasins qui apparaissent dans la seconde moitié du siècle.A. L’affranchissement relatif des peuples
La nuit du 4 août 1789, l’Assemblée constituante (composée des députés des États généraux) met fin à tous les privilèges féodaux. C’est la société d’ordres de l’Ancien Régime qui disparaît avec cette mesure : tous les Français sont dorénavant des citoyens égaux devant la loi. Ainsi se réalise le souhait du tiers état, tel que le formule l’abbé SIEYÈS « Qu’est-ce que le tiers état ? Tout. Qu’a-t-il été jusqu’à présent dans l’ordre politique ? Rien. Que demande-t-il ? À être quelque chose. » (Qu’est-ce que le tiers-état, 1789).
Cette vague d’affranchissement, qui avait déjà commencé en Angleterre (révolutions de 1641-1649 et 1688-1689), se propage en Europe et aux États-Unis, où LINCOLN abolit l’esclavage en 1865 : le treizième amendement à la Constitution stipule que « ni esclavage, ni aucune forme de servitude involontaire ne pourront exister aux États-Unis, ni en aucun lieu soumis à leur juridiction ».
La classe ouvrière et la question sociale
Cet affranchissement des peuples ne se fait toutefois pas sans difficulté. Comme l’écrit LAMENNAIS en 1838, « au moins l’esclave était entretenu pour survivre, alors que l’ouvrier est laissé à lui-même, abandonné, il n’appartient à personne. ». À la société d’ordres succède rapidement une société de classes en raison du développement de la classe ouvrière. Ainsi, MARCHAND et THELOT (Le Travail en France, 1800-2000, 2000) montrent que la formation de la classe ouvrière est « le trait le plus marquant de l’évolution de la structure sociale durant la seconde partie du XIXe siècle ». C’est l’œuvre de la révolution industrielle, laquelle suscite un exode rural et agglomère cette main-d’œuvre bon marché dans les grands centres urbains.
Les ouvriers sont unis par leurs conditions de vie et de travail extrêmement précaires. Le terme de « question sociale » regroupe les interrogations et préoccupations, aussi bien politiques que philosophiques, qui découlent de ce dénuement extrême d’une partie toujours plus grande de la population. Par ailleurs, le très fort immobilisme social résultant de l’industriali-sation du XIXe siècle est également très préoccupant. Comme l’exprime avec désespoir SISMONDI : « désormais les ouvriers naissent et meurent ouvriers ».
La bourgeoisie conquérante
Seule une partie minoritaire de la population tire son épingle du jeu avec l’industrialisation : la bourgeoisie. C’est pourquoi l’historien Charles MORAZÉ parle de « bourgeois conquérants » qui accaparent les pouvoirs économique, financier et politique au cours du XIXe siècle. En France, ce processus se fait bien sûr au détriment de la noblesse déchue.
Les industriels comptent parmi les grands noms de la bourgeoisie, comme SCHNEIDER avec ses usines du Creusot (Bourgogne) en France, ou KRUPP en Allemagne. Aux États-Unis, les Andrew CARNEGIE (acier), William VANDERBILT (chemins de fer), ou J. P. MORGAN (banque) façonnent une économie en pleine ébullition en bâtissant des empires industriels et financiers quasi inédits dans l’histoire de l’humanité. Le magazine Challenge a ainsi calculé en 2012 ce que représenterait la fortune de John D. ROCKEFELLER en devises actuelles : 200 milliards de dollars. Dans les périodes de crise, cette richesse apparaît indécente aux yeux de l’opinion publique, qui les qualifie alors de « barons voleurs » (« robber barons »).
La lutte des classes
Contemporain de la révolution industrielle et de la question sociale, Karl MARX analyse ce qu’il appelle le « système capitaliste » en décrivant la formation de deux grandes classes sociales : le prolétariat et les capitalistes en lutte pour le partage de la valeur ajoutée. Les capitalistes forment la classe dominante, tandis que le prolétariat est exploité. Ces deux classes sont inéluctablement condamnées à s’affronter, et tel est même le moteur de l’Histoire. Le philosophe écrit ainsi avec Friedrich ENGEL dans Le Manifeste du parti communiste (1848) que « l’histoire de toute société jusqu’à nos jours est l’histoire de la lutte des classes ».
La forte croissance de la classe ouvrière inquiète sérieusement les élites de l’époque. Pour Louis CHEVALIER (Classes laborieuses, classes dangereuses à Paris pendant la première moitié du XIXe siècle, 1958), ces ouvriers entassés dans les grands centres industriels représentent une réelle menace aux yeux de la France des notables : « Les barbares qui menacent la société ne sont point au Caucase ou en Tartarie, ils sont dans les faubourgs de nos villes manufacturières », fait-il dire à cette France bourgeoise.
La solidarité face à l’urbanisation
L’urbanisation des populations est une autre caractéristique de la révolution industrielle. En effet, les masses affluent vers les villes dans un véritable exode rural. Aux États-Unis, la population urbaine passe de 20 % en 1870 à 50 % en 1930, ce qui témoigne de la rapidité du phénomène. Louis de BONALD (De la famille agricole et de la famille industrielle, 1826) met en avant les différences de mentalité entre la société rurale, plus traditionnelle, et la société urbaine, bien plus individualiste.
L’urbanisation affecte profondément les formes de solidarité entre les individus. Émile DURKHEIM (De la division du travail social, 1893) met en évidence le passage d’une solidarité mécanique à une solidarité organique. Liée à la tradition, la première est holistique (le tout dépasse la somme des parties). Dans la seconde, les liens sociaux traditionnels s’effacent. Les individus ne sont désormais plus liés que par le processus productif : c’est le règne de la division du travail et de l’individualisation.
Les débuts de la classe moyenne
Serge BOSC (Sociologie des classes moyennes, 2008) montre que la classe moyenne est une notion apparue au XIXe siècle. Il s’agit d’une couche moyenne, entre l’aristocratie privée de ses droits (après la Révolution) et le prolétariat naissant (l’an-cien tiers-état). On peut par exemple y ranger les salariés non manuels et les « cols blancs ».
Alexis de TOCQUEVILLE (De la démocratie en Amérique, 1835) évoque une « multitude d’hommes presque pareils qui, sans être précisément ni riches ni pauvres, possèdent assez de biens pour désirer l’ordre et n’en ont pas assez pour exciter l’envie ». Cette classe moyenne va tirer la consommation, comme celle du textile dans les grands magasins qui apparaissent dans la seconde moitié du siècle.