Le XIXe siècle est à la fois celui d’une première mondialisation et de la colonisation
Ceci est un article issu de livre L'essentiel de l'histoire économique publié en 2017 par Arnaud Labossiere.
Du mercantilisme au libre-échangisme
VOLTAIRE se fait l’écho des théories mercantilistes en écrivant « Nous faisons autant de perte que l’étranger de gain » dans son Dictionnaire philosophique (1767). Développées, entre autres, par Antoine de MONTCHRESTIEN et Jean BODIN[1], ces théories voient le commerce extérieur comme un jeu à somme nulle, où chacun gagne ce que l’autre perd (et inversement).
Dans la France de Louis XIV, par exemple, l’État développe le commerce extérieur et les manufactures royales sous l’influence de COLBERT, lequel déclare la « guerre de l’argent » aux autres puissances commerciales de l’époque.
C’est en réaction au mercantilisme que les physiocrates (François de QUESNAY) et les économistes dits « classiques » (à la tête desquels Adam SMITH et David RICARDO) ont défendu le libre-échange, considéré comme un jeu à somme positive. Dans leur optique, chaque pays aurait intérêt à participer au commerce international parce que toutes les parties de l’échange en retirent un bénéfice mutuel.
Le rôle pionnier de l’Angleterre dans le libre-échange
L’Angleterre se convertit au libre-échangisme après l’indépen-dance des États-Unis. Le Premier ministre William PITT cherche à redresser le pays en mettant en œuvre les théories d’Adam SMITH. Il va ainsi signer en 1786 le traité de libre-échange EDEN-REYNEVAL avec la France. Mais c’est surtout au XIXe siècle que le pays rompt avec sa tradition protectionniste pour devenir le pays pionnier du libre-échange.
En 1846, les Corn Laws, des lois adoptées entre 1773 et 1815 pour limiter l’importation de blé sur le sol anglais, sont abolies. L’Angleterre s’ouvre donc à la concurrence étrangère. Le 23 janvier 1860, elle signe avec la France un accord de libre-échange, le traité COBDEN-CHEVALIER. Très optimiste, Richard COBDEN écrit dans sa brochure Les Trois Paniques : « Le libre-échange réunit l’humanité, écarte tout antagonisme de race, de credo et de langue, il est la condition d’une paix éternelle entre les hommes ».
GALLAGHER et ROBINSON (L’impérialisme du libre-échange, 1953) montrent néanmoins que l’Angleterre est devenue libre-échangiste une fois acquise sa domination industrielle et technologique. Et pour cause, dès 1825, un pays voit pour la première fois dans l’Histoire sa valeur ajoutée industrielle dépasser celle de l’agriculture (il faudra attendre 1865 en Prusse et 1875 en France pour observer ce renversement).
Après un passé fortement protectionniste (comme pour l’industrie de la laine à la Renaissance, l’exemple utilisé dans la dénonciation de LIST), la Grande-Bretagne a ensuite défendu la cause du libre-échange en abolissant les Corn Laws précédemment citées, puis en 1849 les Actes de Navigation (datant de 1651) qui réservaient le commerce avec les colonies aux marins britanniques ; en abaissant de manière générale ses barrières douanières et en s’exposant ainsi à la concurrence étrangère.
Une première mondialisation
Suzanne BERGER (Notre première mondialisation, essai d’un échec oublié, 2003) évoque en effet une « première mondialisation » dans la seconde moitié du XIXe siècle. Elle identifie le traité franco-britannique Cobden-Chevalier précédemment cité comme un évènement marquant de cette mondialisation. Elle met en évidence la dimension quantitative du phénomène : le commerce international a été ainsi multiplié par vingt entre 1830 et 1914.
Pour autant, le protectionnisme n’a pas disparu. À partir des années 1890, en effet, presque tous les pays relèvent leurs barrières commerciales. En France, par exemple, les fameux tarifs MÉLINE de 1892 protègent l’agriculture nationale. C’est pourquoi Paul BAIROCH considère que ce siècle est finalement surtout un « océan de protectionnismes cernant des îlots de libre-échange ».
Fin de siècle et succès de l’Allemagne et des États-Unis
La Grande Dépression (1873-1896) change la donne dans la hiérarchie des puissances industrielles et commerciales. Elle amorce en effet le déclin relatif de l’Angleterre et de la France. Pendant ce temps, les États-Unis, « patrie et bastion du protectionnisme moderne » (BAIROCH), et l’Allemagne montent en puissance. La part de cette dernière dans le commerce international passe ainsi de 8 à 12 % entre la Grande Dépression et la fin du siècle.
Elle va mettre en place une véritable « éducation industrielle » selon la théorie de Friedrich LIST (Système national d’économie politique, 1841). Il s’agit de protéger les industries nationales naissantes de la concurrence étrangère (qui est déjà aguerrie) afin qu’elles s’imposent sur le marché national et qu’elles se renforcent avant d’affronter la concurrence internationale. C’est la stratégie du « protectionnisme éducateur ».
Cette stratégie permettra ainsi à l’Allemagne de rattraper l’Angleterre dans les secteurs clés de la première révolution industrielle. Des entreprises comme Krupp et Thyssen (toutes deux spécialisées dans la production d’acier) deviennent par exemple des concurrentes sérieuses des entreprises anglaises.
La colonisation et le libre-échange imposé
Au XIXe siècle, les puissances européennes se partagent le monde tandis que la conférence de Berlin de 1885 portant sur « la liberté du commerce dans le bassin du Congo et la liberté de navigation sur le fleuve Niger » définit les règles de la colonisation. En 1914, l’Empire colonial britannique couvre à lui seul un quart des terres émergées du monde.
Dans certains pays colonisés, cependant, l’organisation de l’économie et du commerce est parfois gérée par de grandes entreprises, à l’instar la Royal Niger Company, une compagnie à charte britannique créée en 1879, dans l’actuel Nigéria. Les puissances coloniales forcent les pays moins avancés à s’ouvrir et à commercer avec elles. C’est le cas du Japon qui s’ouvre de force avec la signature du Traité de Kanagawa en 1854.
L’historien Paul BAIROCH (Mythes et Paradoxes de l’histoire économique, 1994) dénonce ce libre-échange imposé comme la cause du retard industriel des pays moins avancés : « Le libéralisme imposé au tiers-monde au XIXe siècle est un des principaux éléments d’explication du retard pris par le processus d’industrialisation ». Il prend notamment l’exemple de l’Inde, dont l’artisanat local a été étouffé par le commerce avec les manufactures anglaises.
[1] Voir le chapitre Histoire de la science économique.