Le XIXe siècle : le siècle de la libre concurrence ?
Ceci est un article issu de livre L'essentiel de l'histoire économique publié en 2017 par Arnaud Labossiere
Le règne de la concurrence sur tous les marchés
« Ces deux mots, laisser-faire et laisser-passer, étant deux sources continuelles d’actions, seraient donc pour nous deux sources continuelles de richesses », aurait déclaré dès le XVIIIe siècle l’homme d’affaires et homme politique français Vincent DE GOURNAY.
Il se faisait ainsi l’écho des thèses physiocrates et classiques qui appelaient à une libération des marchés, à un désenclavement des régions, et à un règne de la concurrence dans le but créer plus de prospérité. La révolution industrielle accomplira leur souhait : « L’essence de la révolution industrielle est le remplacement des réglementations médiévales qui contrôlaient auparavant la production et la distribution des richesses par la concurrence » écrit l’historien britannique Arnold TOYNBEE (Lectures On The Industrial Revolution of The 18th Century In England, 1882).
La révolution industrielle coïncide en effet avec la libération des forces du marché et la mise en concurrence des travailleurs, des entreprises et même des nations. La Révolution française met fin aux corporations avec l'article 7 du décret d'ALLARDE (1791) : « Il sera libre à toute personne de faire tel négoce ou d'exercer telle profession, art ou métier qu'elle trouvera bon ».
La concurrence entre les entreprises est toutefois encadrée juridiquement, comme en France avec le Code Civil de NAPOLÉON (1804). Le développement des transports avec les canaux, les chemins de fer, puis les navires à vapeur accroît la taille des marchés et rend aussi le processus concurrentiel plus complexe, et surtout international.
L’innovation, la structure du marché, et les premières politiques « antitrust »
Pour Joseph A. SCHUMPETER (Théorie de l’évolution économique, 1912), la concurrence peut momentanément réduire la concurrence. C’est notamment l’œuvre de l’innovation qui procure à une entreprise une situation de monopole temporaire.
L’économiste distingue cinq types d’innovation :
- innovation de produit ;
- l’innovation de procédé ;
- l’innovation de débouché ;
- l’innovation de matière première ;
- l’innovation d’organisation.
Les innovations en termes d’organisation et de matière première (et donc de marché) ont par exemple permis à John D. ROCKEFELLER de régner en maître sur l’industrie des raffineries de pétrole aux États-Unis. Le tycoon est en effet parvenu à se trouver en situation de quasi-monopole : en 1900, son entreprise, la Standard Oil, contrôle 90 % du volume de pétrole raffiné sur le sol étatsunien. Selon SCHUMPETER, c’est l’apparition d’imitateurs qui copient les innovateurs et les innovations des concurrents qui a raison de la position de monopole d’un innovateur.
Dans les faits, et surtout dans le cas de ROCKEFELLER, il n’en va pas toujours ainsi. L’entrepreneur américain a fait plier tous ses concurrents potentiels. Les premières réglementations antitrust ont donc été votées à la fin du siècle aux États-Unis pour répondre à ces comportements anticoncurrentiels. Ainsi, le Sherman Antitrust Act de 1890, qui vise explicitement la Standard Oil, jette les bases du droit de la concurrence. Il sera complété par le Clayton Act de 1914.
Un vaste mouvement de concentration industrielle dans la seconde moitié du siècle
Les États-Unis ne sont pas le seul pays à assister à la formation d’entreprises géantes dans la seconde moitié du XIXe siècle. C’est aussi le cas de l’Allemagne, du Japon, ou encore de la Russie. La première explication est la Grande Dépression (1873-1896), car les crises entraînent souvent une restructuration des secteurs touchés. Les entreprises les plus fragiles disparaissent, les plus efficaces survivent et, au lendemain de la crise, ces dernières prennent les parts de marchés des entreprises ayant fait faillite. Les crises agissent comme une sélection naturelle aboutissant à ce qu’un nombre plus limité d’acteurs se partagent le marché.
Le processus de concentration peut néanmoins s’avérer plus « artificiel », dans le sens où ce sont les pouvoirs publics qui en sont à l’origine. Alexander GERSCHENKRON (Economic Backwardness in Historical Perspective, 1962) décrit par exemple comment l’État allemand encourage la création de Konzerns comme Krupp ou Thyssen, dont découle une fusion des milieux banquiers et industriels. En Russie ou encore au Japon, l’État crée lui-même de grands groupes industriels pour se substituer à une classe d’entrepreneurs absente.
La France ne connaîtra pas le même genre de développement : à la fin du siècle, on compte en moyenne un patron pour cinq employés. La petite entreprise semble donc y être restée dominante.