Le XIXe siècle : naissance du salariat et du chômage
Ceci est un article issu de livre L'essentiel de l'histoire économique publié en 2017 par Arnaud Labossiere.
Apparition du salariat et du concept de chômage
Selon Robert SALAIS, Nicolas BAVAREZ et Bénédicte REYNAUD (L’Invention du chômage, 1980), le concept de chômage est né à la fin du XIXe siècle. Jusqu’au recensement de 1896, en effet, il n’existait pas de catégorie spécifique réservée aux chômeurs.
Ils étaient simplement comptabilisés dans la population dite « non classée ». On peut donc considérer que le chômage est apparu avec la généralisation du Factory System, c’est-à-dire avec le travail salarié en usine.
C’est pourquoi Olivier MARCHAND et Claude THELOT (Le travail en France 1800-2000, 2000) écrivent que « l’histoire du chômage est celle de l’extension du salariat ». Contemporain de la révolution industrielle, Karl MARX considère que le chômage du prolétariat est volontairement créé par les capitalistes pour exercer une pression à la baisse sur les salaires. C’est le concept de « l’armée de réserve industrielle » du capitalisme. « Le but principal de la bourgeoisie par rapport à l’ouvrier est, bien sûr, d’obtenir le travail en tant que matière première au plus bas coût possible, ce qui n’est possible que lorsque la fourniture de ce produit est la plus grande possible en comparaison de la demande » (Karl MARX)
La précarité de l’ouvrier face aux employeurs
Jusqu’à la seconde moitié du siècle, peu de lois encadrent le marché du travail. En France, ce marché est institué et libéralisé avec la Révolution : les corporations et les associations sont interdites par le décret d’ALLARDE et la loi LE CHAPELIER de 1791. On parle alors juridiquement d’une liberté théorique des parties (qui est totale) et d’un contrat de travail individuel.
Cette liberté est cependant fallacieuse, car comme l’écrit le prédicateur LACORDAIRE, « entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, entre le maître et le serviteur, c’est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit ». Ainsi, l’ouvrier est de facto à la merci de l’employeur. En effet, l’existence du livret ouvrier, imposé par NAPOLÉON en 1803, place clairement l’employeur au-dessus de l’employé (en dépit de leur égalité juridique théorique).
La question sociale : des conditions de vie extrêmement précaires
Au cœur de la révolution industrielle, les populations ouvrières subissent un rythme de travail harassant : elles sont à la tâche quinze heures par jour, six jours par semaine, sans congé. Leurs conditions de vie et de travail font l’objet de rapports très critiques, comme le rapport VILLERMÉ de 1840 (Tableau de l’état physique et moral des ouvriers français) qui écrit au sujet du travail des enfants : « ce n’est pas du travail, c’est de la torture ».
Les salariés vivent d’un salaire de subsistance conformément à la loi d’airain des salaires (Ferdinand LASSALLE). Paul MANTOUX (La Révolution industrielle au XVIIIe siècle, 1906) en conclut que « par ce mélange de dépravation et de souffrance, de barbarie et d’abjection, la fabrique présentait à une conscience puritaine la parfaite image de l’enfer ».
De violents conflits du travail
La question sociale crée un climat insurrectionnel dont témoigneront de nombreuses révoltes et émeutes. Parmi les exemples les plus célèbres, on peut citer la révolte des canuts (ouvriers tisserands de la soie) à Lyon en 1831, contre le machinisme et leur appauvrissement.
En 1848, MARX et ENGELS appellent dans Le Manifeste du Parti communiste à la révolution générale contre le capitalisme, quand ils déclarent « travailleurs de tous les pays, unissez-vous ». Les soulèvements ouvriers sont souvent réprimés dans le sang, ce qui creuse un peu plus l’écart entre la bourgeoisie et le prolétariat.
La peur du machinisme
Le progrès technique a traditionnellement été assimilé par la classe ouvrière à un danger pour ses emplois. John KAY, l’inventeur de la navette volante, a par exemple dû fuir l’Angleterre et se réfugier en France pour échapper aux nombreuses protestations contre son innovation. Au XIXe siècle, l’économiste français Jean de SISMONDI définit ainsi le progrès technique comme « un malheur national ». Cette théorie des effets destructeurs du progrès technique sur l’emploi a été remise au goût du jour par Jeremy RIFKIN, quand il déclarait en 1997 que « l’informatique et les télécommunications menacent des dizaines de millions d’emplois dans les années à venir ».
Face à ces théories pessimistes Alfred SAUVY (La Machine et le Chômage, 1980) avait avancé la « théorie du déversement », selon laquelle le progrès technique améliorant la productivité engendre un transfert (ou déversement) des emplois d’un secteur d’activité vers un autre (notamment, historiquement, de l’agricul-ture vers l’industrie, puis de l’industrie vers les services).
La lente institutionnalisation du syndicalisme dans le monde ouvrier et la réglementation du marché du travail
Le syndicalisme provient tout d’abord, comme le montre Georges LEFRANC (Le Syndicalisme dans le monde, 1963), du « divorce entre le travail et la propriété des instruments de travail ». Les syndicats (sans être nommés ainsi) sont interdits en France par la loi LE CHAPELIER de 1791 et en Angleterre par le Worksmen Combination Bill de 1799. En Angleterre, Robert OWEN est à l’origine du syndicat Great Consolidated Trade Union en 1834, qui regroupe 500 000 adhérents en l’espace de quelques semaines. C’est le chartisme, c’est-à-dire le fait de réclamer des chartes (qui correspondent aux conventions collectives d’aujourd’hui).
En France, en 1886, la Fédération nationale des syndicats désigne le capitalisme comme « l’ennemi de la classe ouvrière ». Les syndicats sont autorisés en 1884 par la Loi WALDECK-ROUSSEAU, et la CGT est créée en 1895. Le syndicalisme connaît toutefois aussi ses spécificités nationales : alors que sa tradition est révolutionnaire en France, les syndicats étatsuniens sont beaucoup plus modérés et réformistes : « Le syndicalisme est naturel au capitalisme […] l’entrepreneur veut plus de profit, le salarié veut plus de salaire » (Samuel GOMPERS, président de la Fédération américaine du travail [AFL] de 1886 à sa mort, en 1924).
L’amélioration des conditions de vie et de travail
La législation du travail évolue au profit des ouvriers. La loi GUIZOT de 1841, par exemple, encadre et limite le travail des enfants en France, et la responsabilité patronale en cas d’accident est institutionnalisée en 1898.
L’émergence d’une première forme d’État-providence, comme en Allemagne à la fin du XIXe siècle, améliore les conditions de vie des ouvriers. Le chancelier allemand Otto von BISMARCK met ainsi en place des assurances sociales (en 1883, la loi sur l’assurance maladie ; en 1884, la loi sur les accidents du travail ; en 1889, la loi sur l’invalidité). Les assurés se trouvent alors progressivement couverts contre les risques maladie, chômage ou vieillesse, grâce à un modèle fondé sur un système financé par cotisations, selon une logique contributive.
Le coût du travail au XIXe siècle (théorie)
David RICARDO (Principes d’économie politique et de l’impôt, 1817) est un des partisans d’une totale flexibilité du prix du travail : « Ainsi que tout autre contrat, les salaires doivent être livrés à la concurrence franche et libre du marché ». Dans son optique, le salaire est un prix comme les autres, déterminé par le libre jeu de la concurrence. Tenant de la conception néoclassique du marché du travail, le Français Léon WALRAS considère plus précisément que les salariés doivent être payés à leur productivité marginale (Éléments d’économie politique pure, 1874).