Le XIXe siècle : révolution agricole et révolution industrielle
Ceci est un article issu de livre L'essentiel de l'histoire économique publié en 2017 par Arnaud Labossiere
Le changement des mentalités et la montée de l’individualisme
Marc BLOCH (Les caractères originaux de l’histoire rurale française, 1931) introduit le concept d’« individualisme agraire » pour désigner un changement de mentalité dans les campagnes : les exploitants considèrent leur terre de plus en plus comme un capital qu’ils cherchent à valoriser. Cette évolution passe par une émancipation à l’égard des contraintes collectives héritées de la société médiévale.
Le développement de la notion de propriété privée n’y est pas pour rien. Pour Karl POLANYI (La Grande transformation, 1944), la rationalité apparaît dans le monde agricole en Angleterre grâce aux lois sur les enclosures, qui jettent les bases de la propriété privée dans le domaine agricole (en particulier pour les terres communales). Cinq mille lois seront votées entre 1727 et 1815. Aux États-Unis, c’est avec le Homestead Act de 1862 que les paysans partis à la conquête de l’Ouest pourront obtenir la possession (au sens juridique) des terres, à condition de justifier qu’ils l’occupent depuis au moins cinq ans. À l’origine des changements de mentalités, il y a donc des réformes institutionnelles.
Certaines innovations peuvent aussi être perçues comme étant à l’origine des changements de mentalité. En Angleterre, par exemple, Lord TOWNSEND développait dès les années 1730 des techniques permettant de produire davantage de poireaux et de trèfles, c’est-à-dire d’exploiter de manière plus rationnelle les terres. Ces techniques de productivité se diffuseront sous le nom de « Système de Norfolk ».
La révolution agricole
« L’agriculture est si inefficace dans ses formes que de toutes petites améliorations peuvent produire des résultats tout à fait hors de mesure » écrit l’historien Eric HOBSBAWM. Il faut donc, pour comprendre l’ampleur de la révolution agricole, commencer par mesurer l’ampleur de l’inefficacité des méthodes et des structures agricoles héritées du Moyen-Âge. Mais à partir de la fin du XVIIIe siècle en Angleterre, et durant le XIXe siècle dans la plupart des autres pays européens et aux États-Unis, se diffusent de nouvelles méthodes, de nouveaux outils et savoir-faire agricoles dont l’émergence constitue une « révolution agricole ». L’inven-tion de la moissonneuse batteuse par McCORMICK en 1834 a beaucoup contribué à mécaniser les exploitations agricoles. On observera ainsi un accroissement de la productivité du travail et du capital dans les campagnes anglaises de 90 % entre 1700 et 1800 grâce à la révolution agricole.
MEIGNEN (Histoire de la révolution industrielle et du développement, 1776-1914, 1997) montre cependant que l’expression de « révolution agricole » est trompeuse dans la mesure où, d’une part, les progrès se font longtemps attendre (ils n’arrivent qu’à la fin du XIXe siècle), et ils ne concernent, d’autre part, que quelques régions. Il s’agit en réalité d’un phénomène progressif et isolé.
Les matières premières de la révolution industrielle
La révolution industrielle n’aurait pas pu avoir lieu sans les matières premières nécessaires, à commencer par le charbon et le fer. Au XIXe, siècle la Grande-Bretagne représentait ainsi 50 % de la production mondiale de fer, de quoi expliquer son leadership industriel. Le charbonnage était alors une activité fondamentale qui avait un poids significatif dans les économies nationales.
En France, de même, le nombre de mineurs est passé de cent mille en 1870 au double en 1900. Les grands foyers industriels se situent donc là où sont les gisements charbonniers. Ce sont les « pays noirs », comme le Yorkshire en Grande-Bretagne, ou la région de Valenciennes en France.
Le retard de l’agriculture française
En France, les mentalités et les techniques mettent plus de temps à évoluer. Dans son Histoire économique de la France (1939), Henri SEE estime que la lenteur du développement agricole français « était dû surtout aux faibles ressources des paysans qui seuls en France entreprennent la culture et qu’accablent les charges du régime seigneurial et de la fiscalité royale ». Pour couronner le tout, il n’y avait pas de spécialisation régionale et les propriétés paysannes étaient trop petites pour espérer réaliser des économies d’échelle.
Un monde agricole bien présent
80% de la richesse et de la population : c’est ce que représente le monde agricole au XIXe siècle selon Paul BAIROCH (Mythes et paradoxes de l’histoire économique, 1994). Les agriculteurs arrivent donc à se mobiliser pour défendre leurs intérêts, comme l’attestent les lois protectionnistes de Jules MÉLINE de 1892, qui protègent l’agriculture française de la concurrence étrangère. Tout projet politique se doit donc de rechercher l’assentiment du monde agricole. Après l’épisode de la Commune (1871), Léon GAMBETTA voulait ainsi renforcer la République en faisant « chausser aux paysans les sabots de la République ».
Le monde agricole est apparu sur le plan politique grâce à l’initiative de Jules TANVIRAY, le fondateur en 1883 du premier syndicat agricole : le « Syndicat des agriculteurs du Loir-et-Cher », qui deviendra la FNSEA en 1946.
Les produits agricoles et le commerce international
Dans la seconde moitié du XIXe siècle a lieu une première mondialisation : l’agriculture et les produits agricoles sont impliqués dans ce développement des échanges. En 1900, ainsi, pratiquement 40 % du commerce mondial est un commerce de produits agricoles. Les pays colonisés seront prisonniers de la division internationale du travail dite « traditionnelle » : ils sont contraints d’adopter une spécialisation agricole, au détriment du développement de leur artisanat et de leur industrie. C’est à l’aide de cet argument que l’école de la dépendance, menée par Raoul PREBISCH et Celso FURTADO, dénoncera dans les années 1950 la responsabilité des pays du Nord dans le retard et la pauvreté des pays du tiers-monde.