Le XXe siècle : 1929, Trente Glorieuses, chocs pétroliers et NTIC
Ceci est un article issu de livre L'essentiel de l'histoire économique publié en 2017 par Arnaud Labossiere.
La crise de 1929
« En Amérique, aujourd’hui, nous sommes plus près de la prospérité, plus près du triomphe final sur la pauvreté qu’aucun autre pays de l’histoire ne l’a jamais été » déclare le président Herbert HOOVER à la veille de la crise de 1929. Trois ans plus tard, 25 % des actifs sont au chômage et le PIB a reculé de 45 %.
La crise est déclenchée par un krach boursier (le fameux « jeudi noir » 24 octobre 1929) qui ruine les épargnants et les banques. Ces dernières réduisent leurs prêts aux entreprises et rapatrient leurs capitaux placés à l’étranger, ce qui propage la crise à toute l’économie – elle n’est plus seulement financière – et au monde entier (dans la mesure où les créanciers étrangers se retrouvent aussi pris à la gorge). Un repli protectionniste accentue ensuite la dimension internationale de la crise. Celle-ci est marquée par la déflation : les prix de gros baissent par exemple de 30 % en Angleterre entre 1929 et 1933.
Évolution du PIB (indice 100 en 1929)
Pays 1929 1933 1939
France 100 90 105
Allemagne 100 85 140
Royaume-Uni 100 95 120
États-Unis 100 70 105
La crise de 1929 est unique par son ampleur et par ses conséquences. Avec la montée des extrêmes en Europe, elle inaugure « l’ère des tyrannies » (Élie HALÉVY).
Le rôle de l’État face aux crises et dans la croissance
En 1933, F. D. ROOSEVELT est élu aux États-Unis et assume « la responsabilité du gouvernement envers la vie économique » en lançant la politique du New Deal. Il s’agit de rompre avec le dogme de la non-intervention de l’État et avec l’objectif d’équilibre budgétaire. Le président américain pratique alors une politique de relance financée par le déficit budgétaire.
Au même moment, en Angleterre, John Maynard KEYNES publie sa Théorie générale (1936) dans laquelle il affirme qu’il est du devoir de l’État d’intervenir afin de « maintenir l’économie dans une situation de boom permanent ». Il y préconise de mener des politiques budgétaires et monétaires en période de crise pour relancer l’activité. Dans ses démonstrations, KEYNES tire à boulets rouges sur le dogmatisme de la pensée économique de son époque. Au Chapitre XII de son opus, par exemple, il s’attaque aux « fous détenant le pouvoir qui entendent des voix dans le ciel, distillent des utopies nées quelques années plus tôt dans les cerveaux de quelques écrivailleurs de facultés ».
Les Trente Glorieuses, une période de croissance unique
« Les Trente Glorieuses ou la révolution invisible de 1946 à 1975 » est le titre de l’ouvrage, désormais célèbre, que Jean FOURASTIÉ a consacré à la période en 1979.
Les Trente Glorieuses sont une période de forte croissance économique que la grande majorité des pays développés ont connue entre 1945 et 1973. Selon les travaux de CARRÉ, DUBOIS et MALINVAUD (La croissance française, 1972), la France a connu un taux de croissance annuel moyen(TCAM) de 5,1 % durant la période. La plupart des pays européens et le Japon ont également connu de forts taux de croissance jusqu’aux années 1970.
La croissance moyenne des pays développés pendant les Trente Glorieuses
Pays TCAM
Japon 10 %
Italie 5,5 %
RFA 5,1 %
France 5,1 %
OCDE 4 %
États-Unis 3,5 %
Grande-Bretagne 2,7 %
On peut identifier plusieurs moteurs de cette croissance :
- la reconstruction économique après la guerre, qui passe par la planification dans des pays comme la France (le Commissariat général au plan est créé en 1946) ;
- un accès facilité à des énergies fossiles abondantes ;
- un rattrapage technologique par rapport aux États-Unis qui permet de forts gains de productivité ;
- l’aide financière des États-Unis, une coopération commerciale (dans le cadre du GATT de 1947) et monétaire internationale (avec les accords de Bretton Woods de 1944) qui créent un cadre favorable à la croissance ;
- le compromis fordiste permet une hausse de la productivité et des salaires, et donc une consommation de masse qui soutient la croissance.
Robert REICH (Supercapitalisme, 2008) pose un regard plus nuancé sur les Trente Glorieuses : il les décrit comme une « une période pas tout à fait d’or » pour des pans entiers de la population, à commencer par les minorités et les femmes, qui ne profitent pas des fruits de la croissance et des avancées sociales.
Les chocs pétroliers, la crise des années 1970 et le tournant des années 1980
Les chocs pétroliers de 1973 et 1979 mettent fin à la période faste des Trente Glorieuses. Le TCAM français sur la période 1974-1980 sera de 2,8 % contre 5,5 % sur 1961-1975.
Cette crise a la caractéristique d’être inflationniste[1], alors que les grandes crises du XIXe et celle des années 1930 étaient déflationnistes. En 1980, les États-Unis sont confrontés à une inflation de 13,5 %. Associée à une croissance faible, voire nulle, elle donne naissance au phénomène inédit de la stagflation.
Les outils conjoncturels keynésiens peinent à relancer la croissance et à enrayer la hausse du chômage. En France, par exemple, la relance Chirac de 1974-76 est un échec. Le paradigme économique dominant change : le monétarisme (avec Milton FRIEDMAN), les néoclassiques comme HAYEK et la Nouvelle école classique (avec LUCAS et SARGENT, entre autres) jouissent d’une grande audience. Aux États-Unis et en Grande-Bretagne, des libéraux comme Ronald REAGAN et Margaret THATCHER arrivent au pouvoir avec l’ambition de libérer les forces du marché de l’emprise de l’État afin de renouer avec la croissance.
La critique de la croissance
À partir des années 1970-80, la recherche de la croissance à tout prix commence à être remise en question. Ainsi, le rapport MEADOWS (1972) intitulé « Halte à la croissance ? » met en évidence que la terre a des limites physiques qui freineront inéluctablement la croissance : dans un monde fini, la croissance infinie est impossible. Les auteurs du rapport prônent par conséquent une croissance zéro.
Nicholas GEORGESCU-ROEGEN (La loi de l’entropie et le processus économique, 1979) théorise la décroissance tout en expliquant que le but ultime de la vie économique est la « joie de vivre », et non l’accumulation de richesses. Des catastrophes comme l’explosion d’une usine chimique à Bhopal (Inde), en 1984, qui fera plus de vingt mille morts, fournissent des arguments aux dénommés « objecteurs de croissance ».
La croissance américaine des années 1990
Les États-Unis connaissent durant les années 1990 une croissance sensiblement supérieure à celle des pays européens. Parmi les explications possibles de ce dynamisme, les déréglementations des années 1980 semblent avoir donné un coup de fouet à l’économie. Cette croissance est cependant aussi tirée par l’essor des nouvelles technologies de l’information et des communications (NTIC, devenues TIC). Selon l’INSEE, environ 30 % de la croissance étatsunienne de la période 1995-2000 s’explique par les NTIC. Certains parlaient même, avant l’éclatement de la bulle internet en 2000, d’un « nouveau cycle Kondratieff ».
1990-1994 1995-1999 1990-1999
États-Unis 2,4 4 3,2
France 1,4 2,6 2
(Données de la Banque mondiale)
Pendant ce temps, l’Europe fait l’expérience d’une « croissance molle » (Jean-Paul FITOUSSI) avec des taux faibles par rapport à ceux des Trente Glorieuses (de l’ordre de 2 %).
[1] Cf. la partie II. E. du chapitre « La monnaie et l’inflation ».