Le XXe siècle : apogée et déclin de la classe moyenne
Ceci est un article issu de livre L'essentiel de l'histoire économique publié en 2017 par Arnaud Labossiere.
Un début de siècle extrêmement inégalitaire
« Les maîtres du gouvernement des États-Unis sont les capitalistes et les industriels réunis, le gouvernement est à présent à la botte des intérêts particuliers », dénonce Woodrow WILSON pendant la campagne électorale de 1912.
Ces « maîtres » font tout pour accroître leur pouvoir et leur richesse au cours des années 1920, aggravant ce faisant les inégalités sociales. Un véritable fossé se creuse dès lors entre les élites économiques et la base de la population. C’est « l’époque de Gatsby le magnifique » écrit Paul KRUGMAN dans Pourquoi les crises reviennent toujours (2008).
En dépit des disparités nationales, ce phénomène touche tous les PDEM. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, par exemple, les élites économiques françaises ont perdu leur crédit : on leur reproche à la fois l’échec militaire de 1940 et d’avoir prospéré pendant l’occupation. Le programme d’action du Conseil National de la résistance (CNR) en atteste, quand il exige explicitement « l’instauration d’une véritable démocratie économique et sociale, impliquant l’éviction des grandes féodalités économiques et financières de la direction des entreprises ».
L’avènement des classes moyennes pendant les Trente Glorieuses
L’avènement de la classe moyenne a été au XXe siècle ce que celui de la classe ouvrière a été au XIXe siècle. Comprendre cette montée en puissance nécessite de se replacer dans le contexte des Trente Glorieuses (1945-1973). En effet, l’État-providence n’est alors plus un projet, mais une réalité. La création de la Sécurité sociale française (en 1945 avec l’ordonnance Laroque) réduit les risques sociaux et la précarité pour une partie importante de la population. Grâce, enfin, à la reconstruction, aux politiques interventionnistes et à la généralisation du fordisme, le pays connaît un taux de croissance annuel moyen de 5 % sur la période.
Le partage des gains de productivité permet une hausse régulière des salaires, si bien que le pouvoir d’achat des Français est multiplié par 2,5 entre 1950 et 1975. Cette évolution rend possible la consommation de masse. L’augmentation du niveau de vie est telle que le sociologue John GOLDTHORPE parle en 1968 d’un « ouvrier d’abondance » pour décrire l’ouvrier type des PDEM à la veille du premier choc pétrolier.
Bientôt l’exclusion pour tous ?
« Les Exclus, un français sur dix » : tel est le titre de l’ouvrage écrit en 1974 par le haut fonctionnaire René LENOIR. Celui-ci sensibilise les milieux politiques au problème des laissés-pour-compte, des handicapés, des alcooliques, etc. qui constituent la face cachée des Trente Glorieuses. Robert REICH consacrera le premier chapitre de Supercapitalisme (2008) à démystifier la période faste de la croissance des PDEM. Aux États-Unis, montre-t-il par exemple, l’égalité politique et l’égalité des chances économiques ne concernent ni les femmes, ni les minorités, pendant cet « âge pas tout à fait d’or » (titre du chapitre).
L’exclusion est rarement une mise à l’écart totale et définitive ; elle correspond plutôt à une désaffiliation progressive et à un éloignement par étapes de la vie sociale, selon l’analyse de Robert CASTEL (Les Métamorphoses de la question sociale, 1995). L’exclusion marque les esprits par « la déstabilisation des stables » : à la fin du siècle, en effet, l’exclusion est une menace pour chacun, personne n’est véritablement à l’abri.
Le déclin de la classe ouvrière et la métamorphose du conflit social
La tertiarisation et les délocalisations accélèrent la désindustrialisation. Près de 2 millions d’emplois industriels ont disparu en France depuis les années 1980. Cela signe à la fois la fin des bastions ouvriers et le déclin de la classe ouvrière dans la société française. Comme l’écrit Éric MAURIN (dans un article de 2003 de la revue Sciences humaines) : « la classe ouvrière est désormais disséminée dans les rouages de la société de services ».
Néanmoins, ce recul n’est pas seulement quantitatif, il se traduit aussi dans un changement identitaire et avec la faible capacité mobilisatrice des syndicats. On parle par conséquent d’une « métamorphose du conflit social ». Ralph DAHRENDORF (Classes et conflits de classe dans la société industrielle, 1957) annonçait ainsi un effacement de la lutte des classes au profit d’une pluralité de conflits sociaux. Les revendications changent, elles sont désormais beaucoup plus qualitatives (recherche d’un projet de société) que quantitatives (hausses salariales).
On parle à ce propos de « nouveaux mouvements sociaux » (MNS), caractérisés par le recul des partis et des syndicats au profit d’autres groupes identitaires (le féminisme, la défense de l’environnement, etc.) qui ne se rassemblent pas en fonction d’une « classe » (le concept perdant en pertinence à cette époque) – ils sont transversaux à la société, ils ont la capacité de réunir des individus de classes sociales différentes. Alain TOURAINE distingue trois composantes de ces mouvements sociaux : un principe d’identité (sentiment d’appartenance) ; un principe d’opposition (désignation d’un adversaire commun) ; un principe de totalité (rôle historique du mouvement).
Laisser les riches s’enrichir pour mettre fin à la pauvreté : le tournant libéral anglo-saxon
« La richesse produite va se répandre jusque dans les plus basses couches du peuple » écrivait Adam SMITH dans sa Richesse des nations (1776). Il défendait ainsi déjà l’idée que la richesse créée profite au plus grand nombre par un effet de ruissellement (ou « trickle-down effect » dans la terminologie anglo-saxonne).
Des personnalités politiques comme Margaret THATCHER en Grande-Bretagne, ou Ronald REAGAN aux États-Unis, remettent au goût du jour cette théorie dans les années 1980. Le président américain a par exemple initié avec l’Economy Recovery Tax Act une réduction du taux marginal d’imposition, le faisant d’abord passer de 70 % à 50 % en 1981, pour le faire descendre jusqu’à 28 % en 1986. Les fondements théoriques de cette mesure ont cependant été récemment remis en cause par Thomas SOWELL (Trickle Down Theory anf Tax Cuts for Rich, 2012). Dans les faits, de surcroît, la politique fiscale reaganienne a mené à un fort accroissement conjoint du déficit public et des inégalités.