Le XXe siècle : ascension et crise de l’État interventionniste
Ceci est un article issu de livre L'essentiel de l'histoire économique publié en 2017 par Arnaud Labossiere.
Guerres, crises et montée de l’État dans la vie économique
PEACOCK et WISEMAN (The Growth Of The Public Expenditure in The United Kingdom, 1967) montrent que le poids de l’État dans l’économie prend de l’ampleur pendant les crises, et cela avec un effet de cliquet : une fois un seuil d’intervention-nisme atteint (défini, par exemple, par le taux de dépenses publiques), l’État ne descend plus en dessous.
En France, ainsi, les dépenses publiques représentent 10 % du PIB avant la Première Guerre mondiale, et plus de 20 % après.
Face à l’ampleur de la crise des années 1930, le président américain F. D. ROOSEVELT rompt avec l’orthodoxie budgétaire et avec l’attentisme de son prédécesseur, Herbert HOOVER. Sa fameuse politique du New Deal consiste en un vaste éventail de mesures de relance :
- En 1933, l’Agriculture Adjustment Act (AAA) soutient l’agricul-ture en mettant un coup d’arrêt à la surproduction et en augmentant les revenus des agriculteurs.
- Le NIRA, ou National Industrial Recovery Act, vient en aide à l’industrie en encourageant le patriotisme économique avec l’instauration d’un « code de bonne conduite ».
Le New Deal comprend aussi des mesures structurelles :
- il réforme le marché du travail avec le Wagner Act (1935) qui renforce le pouvoir des syndicats.
- il encadre aussi la finance avec le Glass Steagal Act (1933) qui introduit la séparation bancaire.
Le New Deal est largement critiqué par l’opposition américaine. En 1934 est ainsi fondé un lobby, l’« American Liberty League », qui rassemble le « gratin » du Dow Jones, des stars d’Hollywood et même l’aviateur LINDBERGH pour protester contre le dérapage « antiaméricain » que constitue, à leurs yeux, cette politique économique inédite. À partir de 1936, dès lors, ROOSEVELT doit engager un bras de fer avec la Cour suprême sur la question de la constitutionnalité de ses lois.
Au même moment, J. M. KEYNES (La Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie, 1936) se fait l’avocat des politiques contracycliques de relance, dont le succès réside dans le mécanisme du multiplicateur d’investissement public. En vertu de celui-ci, une variation de l’investissement public entraîne une variation proportionnellement supérieure de la croissance. Telle n’est pas pour autant la seule finalité de l’intervention publique. Comme le montre le carré magique de Nicholas KALDOR, les objectifs conjoncturels sont multiples : maîtrise de l’inflation, lutte contre le chômage, soutien à la croissance, et maintien de l’équilibre extérieur.
Les nationalisations et la planification
« Tout bien, toute entreprise dont l’activité a ou acquiert le caractère d’un service national ou d’un monopole de fait doit devenir la propriété de la collectivité », déclare le préambule de la Constitution de 1946. Des pans entiers de l’économie française sont dès lors nationalisés. La vague commence ainsi le 13 décembre 1944, quand l’État nationalise les Houillères du Nord-Pas-de-Calais. Si certaines nationalisations constituent des sanctions (comme pour l’entreprise RENAULT, coupable de collaboration), la plupart visent à mettre les commandes de l’économie française entre les mains de la puissance publique. C’est pour cette raison que la Banque de France est nationalisée en 1945.
La reconstruction et la modernisation nationales passent par la planification. Celle-ci démarre avec la création du Commissariat général au plan en 1946, dont la direction est confiée à Jean MONNET. Les priorités du premier plan sont les suivantes : l’acier, le charbon, le ciment, l’électricité et les transports.
D’un point de vue historique, les nationalisations et la planification répondent aux exigences du Conseil National de la Résistance qui voyait dans ces mesures un premier pas vers « une véritable démocratie économique et sociale ».
La régulation de la conjoncture
Prolongeant les théories de KEYNES, ROBERTSON (Essays in monetary theory, 1940) théorise le réglage fin de la conjoncture (ou « fine tuning ») selon lequel l’État doit à la fois relancer l’économie en cas de ralentissement et freiner l’expansion en période de surchauffe. HICKS et HANSEN en améliorent l’outil théorique avec le modèle IS/LM qui montre comment combiner les politiques monétaire et budgétaire dans ce but.
Durant les Trente Glorieuses, la régulation de la conjoncture, combinée à la planification, à la reconstruction économique et aux forts gains de productivité a permis à la France de connaître un TCAM de 5 % sur la période (d’après les travaux de CARRÉ, DUBOIS et MALINVAUD réunis dans La croissance française [1972]). De surcroît, la création de l’INSEE en 1946 donne aux pouvoirs publics un outil d’analyse de l’évolution des grandes variables macroéconomiques et sociales. L’État peut donc mesurer l’impact des mesures décidées.
L’État-providence
En France, l’événement déclencheur est la Première Guerre mondiale : l’ampleur des sacrifices justifie la création par la loi d’un vaste dispositif de lois sociales. On peut citer la journée de huit heures, introduite en 1919, ou encore la loi LOUCHEUR, à l’origine des Habitations à bon marché (ou HBM, l’ancêtre des HLM).
Le terme d’« État-providence » a cependant été inventé plus tard, en pleine Seconde Guerre mondiale, par l’écono-miste William BEVERIDGE, qui a écrit le rapport Social Insurance and Allied Services en 1942. La Sécurité sociale française est créée trois ans plus tard (par l’ordonnance Laroque), et le National Health Service (NHS) voit le jour en Grande-Bretagne en 1946. Aux États-Unis, le Social Security Act (1935) de ROOSEVELT avait déjà jeté les bases d’une politique sociale. Le Fair Deal (1949) du président TRUMAN, le Medicare (assurance maladie pour les personnes âgées) et Medicaid (assurance maladie pour les familles à faible revenu) de JOHNSON (1965) sont dans la continuité de cette politique.
D’un point de vue théorique, on distingue cependant deux principaux modèles d’État-providence :
- le système « bismarckien » fondé sur l’assurance et financé par des cotisations ;
- le système « beveridgien », universel et financé par l’impôt.
Les crises de l’État et le tournant libéral
À partir des années 1970, les PDEM touchés par les chocs pétroliers butent sur le phénomène de la stagflation et sur l’inefficacité de leurs politiques de relance. En effet, l’ouverture économique semble rendre celles-ci inefficaces (en vertu du multiplicateur en économie ouverte). En France, par exemple, la relance MAUROY de 1982 est un échec. Parallèlement, l’hypertrophie du secteur public devient pesante et synonyme d’inefficacité. En 1982, le secteur public représente déjà 20 % de la valeur ajoutée, 35 % de l’investissement et il emploie 6 millions de personnes (contre 3 millions en 1946).
Les années 1970 sont donc aussi celles de la crise de l’État-providence. Pierre ROSANVALLON (La crise de l’État-providence, 1981) évoque une crise à trois dimensions : au niveau de l’efficacité, du financement et de la légitimité.
Dans les pays anglo-saxons, des personnalités politiques obstinément libérales arrivent au pouvoir. Dans son discours d’investiture de 1981, le président américain Ronald REAGAN prononce ainsi cette phrase restée célèbre : « le gouvernement n’est pas la solution à nos problèmes, le gouvernement est le problème ». En cohérence avec cette sentence, on compte parmi ses mesures phares la baisse de la fiscalité sur les plus hauts revenus. L’Economy Recovery Tax Act fait ainsi passer le taux marginal supérieur d’imposi-tion de 70 à 28 % entre 1981 et 1986. On assiste, dans la plupart des PDEM, comme aux États-Unis, à un désengagement de l’État de la vie économique et sociale à partir des années 1980.
L’État et l’innovation
Les théoriciens de la croissance endogène (notamment BARRO, ROMER et LUCAS) réhabilitent l’action de l’État dans le processus d’innovation. Émergeant dans les années 1980 et 1990, ils estiment que l’État peut encourager l’inno-vation, des gains de productivité – et donc de la croissance – en développant, entre autres, son secteur éducatif (qui détermine le capital humain) et ses infrastructures.
Aux États-Unis, le Bayh-Dole Act permet dès 1980 aux entreprises de déposer des brevets même si les recherches ont été financées par des fonds publics (sous forme de subventions). Les dépenses militaires constituent aussi un moyen détourné de susciter de l’innovation. L’internet était bien une technologie militaire à ses débuts, financée par l’État fédéral. Ainsi, pour l’économiste Carlota PEREZ (Technological Revolutions and Financial Capital : The Dynamics of Bubbles and Golden Ages, 2003), la guerre froide et les innovations militaires ont été un des moteurs de l’innovation (au sens large) et de la croissance aux États-Unis. Mariana MAZZUCATO (The Entrepreneurial State, 2013) s'attaque au mythe selon lequel le secteur privé aurait pu se passer du secteur public dans son processus d'innovation. Elle montre par exemple que toutes les avancées majeures qui ont permis de fabriquer un produit phare comme l'iPhone ont été financées avec des fonds publics (des écrans tactiles jusqu'au GPS).