Le XXe siècle : de la guerre des monnaies à Bretton Woods, les institutions financières internationales
Ceci est un article issu de livre L'essentiel de l'histoire économique publié en 2017 par Arnaud Labossiere
La Première Guerre mondiale et la coopération monétaire interalliée
La Première Guerre mondiale marque la fin de l’étalon-or. Si la France, la Grande-Bretagne et les États-Unis ont maintenu leurs taux de change inchangés pendant la guerre, cette stabilité perdurait seulement au nom de la coopération monétaire interalliée.
Une chose est cependant sûre : à la sortie de la guerre, il n’y a plus aucun rapport entre la quantité d’or présente en France et la masse monétaire. Jean-Charles ASSELAIN montre dans son Histoire économique de la France que le financement de la guerre par la planche à billets à multiplié la masse monétaire par cinq pendant toute la période, si bien que la Banque de France ne peut couvrir que 21 % des billets en circulation. Ainsi, à la fin de la guerre, les États-Unis disposent eux de 50 % du stock d’or.
Le retour à l’étalon-or et le système de Gênes
Au sortir de la guerre mondiale se pose la question du retour à l’étalon-or. L’historien Patrick VERLEY (Le Mythe de l’étalon-or, 1988) montre qu’« après la guerre le système de l’étalon-or fut paré de toutes les vertus », et c’est pourquoi les pays ont cherché à y revenir à tout prix. C’est ce que fait la Grande-Bretagne en 1925 quand CHURCHILL restaure avec le Gold Standard Act la convertibilité-or de la livre à son cours d’avant-guerre, cela au prix d’une très forte récession. KEYNES (Economic Consequences Of Sterling Parity, 1925), dénonce cette politique qui fera cinq millions de chômeurs et qualifie l’or de « relique barbare », une expression qui est restée célèbre.
Dès 1923, KEYNES écrivait dans son Traité de la réforme monétaire : « le conservatisme et le scepticisme se donnent la main – comme cela arrive souvent. Peut-être que la superstition intervient également ; car l’or bénéficie toujours du prestige de son odeur et de sa couleur ».
Afin de réorganiser le système monétaire international, les représentants de trente-quatre pays se rassemblent du 10 avril au 19 mai 1922 à Gênes. La conférence qui se tient dans la ville se donne pour objectif la « reconstruction économique de l’Europe ». Avec les accords obtenus, l’étalon est à nouveau l’or, mais seules quelques monnaies sont convertibles, et elles vont servir d’instruments de réserve pour tous les autres pays.
La guerre des dévaluations des années 1930 et la fin du système de Gênes
Dans un système de changes fixes comme celui du système de Gênes, une dévaluation consiste pour un pays à abaisser le taux de change de sa monnaie par rapport aux autres monnaies (sous réserve que les autres pays ne fassent pas de même). La dévaluation permet ainsi de gagner en compétitivité-prix sur le marché mondial. En septembre 1931, la livre sterling est dévaluée de 30 %. En 1933, c’est au tour du dollar d’être dévalué. ROOSEVELT clarifie l’objectif des États-Unis à ce sujet : « ce qui nous intéresse, c’est le prix des marchandises américaines ». Il ajoute : « un système économique interne sain pour une nation est un bien plus grand facteur de bien-être que le prix de sa monnaie ».
Après 1933, les pays du bloc-or (France, Belgique, Italie, Pays-Bas, Pologne, Suisse) refusent la dévaluation et optent pour la déflation afin d’abaisser les coûts de production. C’est par exemple ce que feront les gouvernements DOUMERGUE (1934) et LAVAL (1931-32 et 1935-36) en France. Mais progressivement, presque tous les pays cèdent à la guerre des dévaluations, y compris la France en 1936. Alfred SAUVY (Histoire économique de la France entre les deux guerres, 1984) parle au sujet des dévaluations d’une « arme diabolique » qui vise à exporter auprès de ses « partenaires » commerciaux sa crise et son chômage.
Les dévaluations vont mettre fin au système de Gênes et à la coopération monétaire : « le monde se fragmenta en zones monétaires et commerciales privilégiées » conclut Patrick VERLEY (1988).
Le système de Bretton Woods et la coopération
À l’été 1944, peu avant la fin de la Deuxième Guerre mondiale, les représentants des quarante-quatre nations alliées (hormis les Soviétiques) se retrouvent à l’hôtel du Mont-Washington, à Bretton Woods aux États-Unis, pour anticiper la reconstruction du SMI après la guerre. Le consensus est qu’il faut éviter à tout prix un retour à la guerre des dévaluations et développer davantage le multilatéralisme et la coopération.
Deux propositions concrètes seront formulées. La première est le plan KEYNES de la délégation britannique, qui propose la création d’une banque centrale mondiale et d’une monnaie de référence, le bancor. Par ailleurs, la création d’un système de compensation internationale veillerait à financer les déséquilibres des balances de paiements.
La seconde proposition est le plan WHITE de la délégation américaine. Il s’agit de la création d’un étalon-or, mais avec une seule devise clé convertible en or : le dollar. Chaque pays définirait dans ce système une parité avec l’or ou avec le dollar.
Le plan américain l’emporte, ce qui peut aisément s’expli-quer par la puissance des États-Unis au sortir de la guerre : ils détiennent alors 75 % du stock d’or mondial et représentent 55 % de la production industrielle mondiale. Angus MADDISON y voit un « irrésistible pouvoir des États-Unis à imposer leurs vues dans l’immédiat d’après-guerre », quand Robert TRIFFIN (Europe and the Monetary Muddle, 1957) explique cela de la manière suivante : « l’avance énorme des États-Unis sur l’Europe acquise pendant les quarante dernières années est essentiellement le résultat de deux guerres mondiales plutôt que la conséquence d’un développement en temps de paix ».
Le Fonds monétaire international (FMI) est également créé à Bretton Woods. Chaque pays contribue au financement du FMI par une quote-part proportionnelle à son poids dans l’économie mondiale. Cette quote-part lui permet d’emprunter des ressources auprès de l’institution (jusqu’à 125 % de la quote-part) pour résorber un déséquilibre de la balance des paiements.
Le début difficile de Bretton Woods jusqu’à sa crise
De 1944 à 1958, le système a du mal à se mettre en place, notamment parce que les principales monnaies européennes ne sont pas encore convertibles (elles le seront en 1958). La France dévalue par exemple sa monnaie six fois entre 1948 et 1958.
C’est à cette époque que les États-Unis viennent en aide aux pays européens avec le Plan Marshall (1947). L’Union européenne des Paiements (UEP) est alors créée pour organiser le partage de l’aide américaine et pour faciliter les échanges internationaux.
À partir de 1958, le dollar n’est plus rare, mais abondant, et c’est le déficit commercial chronique américain qui est en cause. L’augmentation de la masse monétaire en dollars entraîne des tensions inflationnistes dans les pays étrangers. Le développement des eurodollars (des prêts octroyés en dollars par des banques européennes à des non-résidents américains) renforce cette tendance. En 1961, huit grandes banques centrales tentent d’enrayer la spéculation sur le dollar en créant le pool de l’or et en s’engageant à vendre de l’or contre du dollar.
Robert TRIFFIN (Gold and the Dollar Crisis: The future of convertibility, 1960) met en avant le dilemme fondamental du système de Bretton Woods : le pays émetteur de la monnaie internationale doit avoir à la fois une balance des paiements en équilibre (pour inspirer la confiance) et en déficit (pour accompagner la croissance mondiale par la création de liquidité). Les droits de tirage spéciaux (DTS), des liquidités supplémentaires que peut émettre le FMI, sont créés en 1967 lors de la conférence annuelle de l’institution à Rio, pour lutter contre ce « dilemme de Triffin ».
La fin du système de Bretton Woods et les changes flottants
Le 15 juillet 1971, Richard NIXON suspend la convertibilité-or du dollar en déclarant que « les États-Unis ne peuvent pas continuer à se battre avec une main derrière le dos ». La même année, les accords du Smithsonian Institute à Washington tentent de rétablir la stabilité du système en dévaluant le dollar par rapport à l’or (on passe de 35 à 38 dollars l’once d’or) et en élargissant les marges de fluctuation.
Avec la conférence de la Jamaïque et les accords de Kingston (1976), l’or est démonétisé, ce qui inaugure l’entrée dans les changes flottants. Dorénavant, le taux de change sera déterminé par le libre jeu de l’offre et de la demande sur le marché des changes.
Les changes flottants et les PED
Les changes flottants ne sont pas nécessairement un facteur positif pour les pays en développement (PED). Comme le montre Paul KRUGMAN (Pourquoi les crises reviennent toujours, 2008), ces pays ne bénéficient pas de la même crédibilité que les pays développés à économie de marché (PDEM), et les variations du cours de leur monnaie peuvent être violentes et ainsi pénaliser sérieusement leur économie.
Pour les PED, il existe plusieurs moyens de se protéger contre les variations de change et de stabiliser le cours de leur monnaie. Le « currency board » en est un exemple, qui désigne le fait d’ancrer sa monnaie sur une monnaie jugée plus crédible, en général le dollar. L’Argentine a mis en place un tel système en 1991 et cela lui a permis d’éradiquer l’inflation importée et d’attirer les capitaux nécessaires au développement du pays. Entre 1991 et 1998, cependant, sa dette extérieure passe de 25 % à 50 % du PIB. Et quand le Brésil dévalue en 1999, et que les performances commerciales de l’Argentine déclinent parallèlement, les capitaux fuient massivement le pays (à partir de 2000), ce qui provoque la faillite de l’Argentine en 2001.