Le XXe siècle : entre réglementation et déréglementation
Ceci est un article issu de livre L'essentiel de l'histoire économique publié en 2017 par Arnaud Labossiere.
La spéculation des années 1920 et la crise de 1929
La crise de 1929 est aujourd’hui considérée comme une crise financière de référence. Et pour cause, la crise de 2008-2009 fut initialement comparée à celle de 1929.
Il s’agit en effet d’une crise boursière (qui démarre le 24 octobre 1929 avec le « jeudi noir » sur les marchés financiers[1]) et d’une crise bancaire (près de 6 000 banques feront faillite aux États-Unis) qui deviennent une crise économique (qui fait 13 millions de chômeurs et 2 millions de sans-abri aux États-Unis), puis se propagent dans le monde entier en raison des rapatriements, dans l’urgence, des capitaux placés à l’étranger.
La crise de 1929 est fondamentalement due à un excès de spéculation à Wall Street. Le secrétaire au trésor Andrew MELLON évoqua alors une « orgie spéculative ». Mais l’endette-ment massif des ménages (la moitié ont un crédit à rembourser) et l’insuffisante répartition des fruits de la croissance américaine dans les années 1920 en sont aussi des causes plus structurelles.
Pour FRIEDMAN et SCHWARTZ (L’Histoire monétaire des États-Unis 1867-1960, 1963), la Fed est responsable de la crise. Elle est coupable d’avoir laissé ses taux directeurs trop bas (entre 2,75 et 5,5 %) pendant les années 1920, pour les monter ensuite brusquement en 1928, provoquant ainsi la crise. L’originalité de cette crise tient aussi à l’originalité des réponses qui lui ont été données. Aux États-Unis, ROOSEVELT met en place le New Deal, une politique de relance innovante et ambitieuse, tandis qu’en Allemagne, les nazis prennent le pouvoir en 1933.
Le calme avant la tempête
Après la crise de 1929, les autorités américaines mettent en place des règles contraignantes pour encadrer les activités financières. La réglementation phare est le Glass Steagall Act de 1933, dont la principale mesure est de séparer les banques de dépôt des banques d’affaires. Cette loi sera par exemple à l’origine de la division de la House of Morgan en trois entités : la banque de dépôt JP Morgan & Co., la banque d’affaires Morgan Stanley et la banque Morgan Grenfell pour les activités extra-américaines. Les États-Unis créent aussi en 1934 une instance de surveillance : la Securities and Exchange Commission (SEC).
En France, les banques sont nationalisées en 1945 (y compris la Banque de France) et mises au service de la politique économique. GRAVEREAU et TRAUMAN parlent même à ce sujet d’une « hibernation » de la finance durant les Trente Glorieuses (1945-1973), en raison de la faible occurrence des crises et des scandales financiers pendant cette période.
La déréglementation depuis les années 1980
Souvent diabolisé, le mouvement de déréglementation des années 1980 demande à être expliqué dans son contexte historique. À la fin des années 1970, les pays développés à économie de marché (PDEM) connaissent des crises économiques profondes, que les politiques économiques contracycliques et les réglementations peinent à surmonter. Les courants de pensée classique et néoclassique ont de nouveau le vent en poupe et inspirent les politiques économiques de REAGAN aux États-Unis et de THATCHER en Grande-Bretagne. Le climat est à une confiance accrue dans les forces du marché, comme un remède à la crise.
Pour Henri BOURGUINAT (Les Vertiges de la finance internationale, 1987), c’est la période des « 3D » : déréglementation, désintermédiation, décloisonnement. La déréglementation financière commence dans les pays anglo-saxons, avec notamment le « Big Bang »[2] de Londres, en 1986, où les transactions sur titres passent de 4 % du PIB en 1975 à 1 000 % du PIB (c’est-à-dire dix fois le PIB) en 1990. Le mouvement de déréglementation se poursuit jusqu’en 1999, avec le Gramm-Leach-Bliley Act qui abroge le Glass Steagall Act de 1933 aux États-Unis. Cette période marque aussi la prévalence de l’économie de marché financier sur l’économie d’endettement, d’après la typologie de HICKS.
Le retour des crises financières
On assiste depuis les années 1980 au grand retour des crises financières : les crises des PED à partir de 1982, la crise des Savings and loans (crise des caisses d’épargne américaines) en 1987, le Japon en 1990, l’Asie du Sud-Est en 1998, l’éclatement de la bulle internet autour de 2000, la crise des subprimes (qui démarre en 2007-2008), puis la crise des dettes souveraines de la zone euro (2010). Nouriel ROUBINI et Stephen MIHM en concluent que « dans l’histoire du capitalisme moderne, les crises sont la norme et non l’exception », et que, depuis les années 1980, le capitalisme est de plus en plus « malade de sa finance » (Économie de crise – une introduction à la finance du futur, 2010).
Les changes flottants et la spéculation sur les monnaies
Avec les accords de Kingston en 1976, le monde entre dans l’ère des changes flottants. Couplés à la déréglementation financière, ils ont donné naissance à de forts mouvements spéculatifs sur le marché des changes. Aujourd’hui, ce sont près de 5 000 milliards de dollars qui sont échangés quotidiennement sur ce marché. Les variations peuvent être si brutales et inattendues que MEESE et ROGOFF parlent dès 1983 d’une « marche au hasard » des taux de changes.
La globalisation financière et le risque systémique
L’interpénétration des marchés financiers à l’échelle mondiale a donné naissance à la globalisation financière, laquelle est devenue, comme l’écrit Michel AGLIETTA, une « aventure obligée », car presque plus personne (à part la Corée du Nord) ne peut se passer des marchés financiers, ni même n’échappe à leur emprise. Le risque inhérent à la globalisation financière est le risque systémique qu’AGLIETTA (Macroéconomie financière, 1995) définit comme « des états économiques dans lesquels les réponses rationnelles des agents individuels aux risques qu’ils perçoivent, loin de conduire à une meilleure répartition des risques par diversification, amènent à élever l’insécurité globale ». Le risque systémique met en effet en danger l’intégralité du système financier mondial.
La faillite retentissante du fonds spéculatif Long Term Capital Management (LTCM) en est un exemple. Lancé en 1994 par un ancien banquier de la banque Salomon Brothers, il devient le plus grand hedge fund moderne en levant 4,7 milliards de dollars. Les deux prix Nobel de 1997, Myron SCHOLES et Robert MERTON, rejoignent le fonds et mettent leur « science » au service de la spéculation. Les rendements sont d’abord au rendez-vous (40 % en 1994, 59 % en 1995), mais les crises asiatique (1997-1998) et russe (1998) font accumuler à l’entreprise des pertes records. Elle doit aux banques 125 milliards de dollars, tandis que ses engagements hors bilan de produits dérivés s'élèvent à 1 250 milliards. Ces sommes sont si importantes (pour l’époque) que l’effondrement du fonds entraînerait la finance mondiale dans sa chute. Un sauvetage est donc organisé par les grandes banques et les institutions financières internationales.
[1] L’indice Dow Jones perd alors 50 % de sa valeur en six semaines d’après GRAVEREAU et TRAUMAN (L’incroyable histoire de Wall Street, 2012).
[2] Cette expression fait référence à la rapidité avec laquelle les marchés financiers britanniques ont été libéralisés et au remplacement de la vente à la criée par les transactions électroniques.