Le XXe siècle : le siècle des stratégies de développement
Ceci est un article issu de livre L'essentiel de l'histoire économique publié en 2017 par Arnaud Labossiere.
Indépendance, décolonisation et non-alignement
La décolonisation s’accélère après 1945. En 1947, l’Inde et le Pakistan obtiennent leur indépendance vis-à-vis de la Grande-Bretagne. Pour la France, la victoire d’HÔ CHI MINH en Indochine en 1954 mène à la décolonisation de l’Asie.
Accession à l’indépendance
Dominions britanniques 1931
Égypte 1936
Inde & Pakistan 1947
Indochine 1954
Maroc & Tunisie 1956
Colonies françaises d’Afrique noire 1958-1960
Algérie 1962
Avec le début de la guerre froide, bon nombre de pays du tiers-monde refusent de s’aligner sur un des deux blocs et dénoncent la colonisation. Du 18 au 25 avril 1955, les envoyés de 29 nations représentant la moitié de la population mondiale se rassemblent à la conférence de Bandung pour manifester leur hostilité à l’égard de la colonisation. Ils déclarent ainsi que « le colonialisme dans toutes ses formes est un mal auquel il doit être mis fin rapidement ». La conférence de Belgrade (1961) s’inscrit dans la continuité de celle de Bandung, et à la fin des années 1970, 130 pays ont rejoint le mouvement des non-alignés.
L’indépendance n’est cependant pas synonyme de prospérité, car « l’indépendance politique dans le monde moderne n’est presque essentiellement que fonction de la prospérité économique » (Maurice ALLAIS, 1988). Ainsi, l’indépendance effective des pays en développement passe par la recherche de la prospérité.
La domination du Nord et l’échange inégal
La décolonisation n’implique pas pour autant l’indépendance économique du tiers-monde. Dans les années 1960, les nations du Sud sont encore trop souvent cantonnées à des économies agricoles ou minières, et les firmes multinationales (FMN) qui s’y implantent rapatrient les bénéfices, empêchant ainsi toute accumulation de capital. L’économiste argentin Raoul PREBISCH en conclut donc que « la richesse de la périphérie est aspirée par le Nord ».
L’école du CEPAL[1] appelle cette situation « l’échange inégal », lequel est aussi à l’origine de la détérioration des termes de l’échange que subit le tiers-monde. Le développement des pays pauvres est donc entravé par son ouverture commerciale : « l’échange inégal est avant tout à l’origine d’un développement inégal » (Samir AMIN, L’échange inégal et la loi de la valeur, 1973).
Une réponse face à cette situation a été de choisir de se développer à l’abri des pays du Nord. C’est la voie empruntée par l’Amérique latine (le Brésil, par exemple), ou d’anciens pays colonisés (comme Algérie) : ces nations investissent donc dans leurs industries lourdes et misent sur des effets d’entraînement pour propulser le développement du pays. Telle est la stratégie dite des « industries industrialisantes » (DESTANNE DE BERNIS).
Ces pays se protègent également de la concurrence des entreprises occidentales avec de fortes barrières protectionnistes : les droits de douane ont par exemple atteint 250 % au Brésil. Ces stratégies se fondent sur le développement du marché intérieur plutôt que sur l’insertion dans le commerce international.
Se développer grâce au commerce international
Le commerce international offre certaines opportunités que nombre de pays asiatiques ont choisi de saisir. Ces pays deviendront les NIPA (nouveaux pays industrialisés asiatiques) : Japon, Corée du Sud, et Chine (depuis les réformes de Deng XIAOPING à partir de 1978) font le choix d’une insertion stratégique dans le commerce international.
On parle de stratégie de remontée de filière et d’industria-lisation par substitutions d’importation. Il s’agit pour le pays de faire progresser sa spécialisation dans le but de passer d’une économie agricole à une économie industrielle à plus haute valeur ajoutée. Notons que cette approche va à l’encontre des théories classiques du commerce international (les théories des avantages chez SMITH et RICARDO, ou encore le modèle HOS) qui soutiennent que les avantages sont fixes. Empiriquement, ces stratégies fonctionnent d’autant mieux que l’insertion dans le commerce international est progressive et stratégique (STIGLITZ).
Elles ne sont cependant pas sans danger. L’afflux massif de capitaux venant s’investir dans un pays peut mener à des crises financières et économiques. La crise asiatique de 1997-1998 est par exemple causée par une entrée excessive de capitaux, suivi d’une fuite massive : 100 milliards de dollars sortent ainsi de l’Asie du Sud-Est en 1998 et plongent des économies entières dans des récessions de l’ordre de 5 à 6 %.
La crise des dettes des PED
La dette extérieure des PED passe de 100 à 1 000 milliards de dollars entre 1970 et 1980. Cet endettement extérieur est contracté par des agents privés ou publics du pays auprès d’États étrangers (dont beaucoup de créanciers sont réunis au sein du Club de Paris, créé en 1956), d’institutions internationales (FMI, Banque mondiale) ou d’organismes de prêt privés (réunis au sein du Club de Londres, créé en 1976). C’est une ressource indispensable pour financer les investissements en l’absence d’épargne préalable (on parle alors d’une situation de besoin de financement). L’endettement devient cependant insoutenable au début des années 1980 : le Mexique déclare par exemple un moratoire sur ses dettes en 1982. En 1985, c’est le tour du Brésil, et la crise des dettes des PED s’étend à l’Amérique latine.
Les créanciers proposent alors des solutions pour la surmonter. Tout d’abord, le plan BAKER (1985) organise des nouveaux financements aux pays en difficulté afin de relancer les investissements et la croissance de ces pays. Il part en effet du principe que ceux-ci souffrent d’une crise de liquidité, c’est-à-dire qu’ils manquent momentanément d’argent, si bien qu’un apport de nouveaux capitaux peut « relancer la machine ».
Fondé sur une logique différente, le plan BRADY (1989) organise ensuite une décote des dettes. Les pays créditeurs sont en effet dans une crise de solvabilité : ils ne peuvent tout simplement pas rembourser. Les créanciers acceptent donc de perdre une partie de ce qu’ils ont prêté en renégociant les taux d’intérêt et les échéances de remboursement.
Cette dernière solution est justifiée par Paul KRUGMAN (Forgiving or financing, 1988) à l’aide du modèle de « courbe de LAFFER de la dette » (identique à la courbe de LAFFER de l’impôt qui montre que « trop d’impôt tue l’impôt »). Selon celui-ci, les valeurs actualisées des remboursements de la dette diminuent au-delà d’un certain montant nominal de dette, car il devient alors impossible de la rembourser. Il est par conséquent rationnel d’annuler une partie des dettes.
Ratio d’endettement des PED (dette totale en % du PNB)
1980 1990 2000
Amérique latine 34,5 44,5 41
Afrique subsaharienne 23,5 60 71
MO et Af. du Nord 22 45,5 31,5
(Données de la Banque mondiale)
Une interrogation critique sur le modèle de développement libéral
Réagissant à la crise des PED, le FMI et la Banque mondiale sont venus en aide aux pays en difficultés, mais ils ont exigé en retour des réformes structurelles libérales : celles-ci sont appelées des « plans d’ajustement structurel ». Les États concernés ont alors souvent accepté de déréglementer leur économie, de privatiser des entreprises publiques, ou encore de s’ouvrir à la mondialisation. La construction idéologique qui justifie ces réformes est communément désignée par l’expression « consensus de Washington » (WILLIAMSON).
Joseph STIGLITZ (La Grande Désillusion, 2002) dénonce cette conditionnalité (une aide contre des réformes) imposée aux pays en crise par les institutions internationales. Il montre par exemple dans le chapitre intitulé Qui a perdu la Russie ? que les réformes ultralibérales mises en place en Russie ont mené à un « capitalisme des copains et des mafieux », ainsi qu’à une débâcle économique et sociale.
[1] Commission économique pour l’Amérique latine.