Le XXIe siècle : l’heure du bilan pour la science économique ?
Ceci est un article issu de livre L'essentiel de l'histoire économique publié en 2017 par Arnaud Labossiere.
Triomphe et reconnaissance des économistes
Les économistes sont aujourd’hui plus écoutés qu’ils ne l’ont jamais été. Régulièrement interviewés dans la presse, demandés par les émissions de télévision ou par les gouvernements et les entreprises pour leurs conseils, ils ont donc acquis une position incontournable dans la société contemporaine.
L’économiste française Esther DUFLO faisait par exemple partie des cent personnes les plus influentes du monde en 2011 (selon le Time 100 Magazine). En 2012, elle rejoint donc aux États-Unis le President’s Global Development Council, au sein duquel elle est chargée de conseiller Barack OBAMA sur les questions de développement. En France, la présidence de la « Commission sur la mesure de la performance économique et du progrès social » a été confiée début 2008 par le président français au prix Nobel d’économie Joseph E. STIGLITZ.
Par conséquent, les déclarations des économistes médiatiques sont scrutées de près et font régulièrement l’objet de critique. Bernard MARIS déclare ainsi dans sa Lettre ouverte aux gourous de l’économie (2010) : « L’économiste est quand même un des rares individus qui peut, dans son métier, prédire une chose, puis son contraire, avoir deux fois tort, et garder son emploi ».
Peut-on parler d’un progrès de la science économique ?
« Qui soutiendrait sérieusement qu’en matière de techniques et de constructions analytiques, il n’a pas eu de progrès en économie ? » écrit par exemple Mark BLAUG (La pensée économique : origine et développement, 1985). On peut dans cette perspective appliquer l’analyse du philosophe des sciences Thomas KUHN (La structure des révolutions scientifiques, 1962) au développement de la science économique : dans une discipline scientifique, les paradigmes dominants se succèdent sans s’annuler, mais en reprenant les acquis des paradigmes précédents.
Toutefois, le problème actuel n’est peut-être pas tant le progrès de la science économique, que l’intégration des opposants au consensus économique. Voici une anecdote qui illustre l’insuffisance du débat : quand Nouriel ROUBINI, professeur à l’université de New York, a prédit la dernière crise financière dès 2006[1], il a été raillé par ses confrères. À croire qu’au cours des dernières années, l’économie serait passée « du statut de discipline scientifique à celui de supporter enthousiaste du capitalisme de libre marché » comme le déplore STIGLITZ (Le triomphe de la cupidité, 2010).
Les économistes et la science économique sont-ils en situation de conflit d’intérêts ?
Les économistes sont-ils totalement objectifs quand ils prônent des réformes économiques et financières alors qu’ils conseillent des entreprises et des banques qui pourraient bénéficier de ces réformes ? Le documentaire Inside Job (Charles FERGUSON, 2010) pointe du doigt les liens entre les économistes et le monde de la finance. Ce dernier aurait notamment profité de la déréglementation financière défendue avec ardeur et à grand renfort de théorie par un bon nombre d’économistes. Dans un article intitulé L’avenir de l’économie comme science (publié en 2003 dans la revue Alternatives économiques), Robert BOYER insistait sur le fait que « face aux dangers d’une captation de la communauté des économistes par une série d’intérêts privés (…) les relations entre la science économique et la démocratie apparaissent comme déterminantes ».
[1] Il déclarait alors que « dans les mois et les années à venir, les États-Unis vont probablement vivre une dépréciation immobilière qui ne se voit qu’une fois dans une vie, un choc pétrolier, une diminution prononcée de la confiance des consommateurs et, ultimement, une grave récession ».