
L’économie française : actualité et perspectives
Ceci est un article issu de livre L'essentiel de l'histoire économique publié en 2017 par Arnaud Labossiere.
Un volontarisme public épuisé ?
Malgré la libéralisation de l’économie française et l’ouverture à la concurrence étrangère, l’État n’a pas complètement renoncé à son rôle stratégique dans l’industrie, dans la compétitivité et dans le processus d’innovation.
Élie COHEN parle à ce propos d’un « colbertisme high-tech » qui passe par exemple par le développement de pôles de compétitivité. Lancée en 2004, l’initiative a accouché de 71 pôles, dont l’Aerospace Valley (centré géographiquement sur les régions Midi-Pyrénées et Aquitaine) spécialisé dans l’aéronautique, l’espace et les systèmes embarqués. Le récent ministre du Redressement productif (2012-2014) Arnaud MONTEBOURG avait remis au goût du jour les notions de politique industrielle et de guerre économique. Peu auparavant, le Rapport GALLOIS sur la compétitivité française (novembre 2012) témoignait de la perspective étatique en la matière.
Force est de constater que ce volontarisme français ne porte pas toujours ses fruits, tout particulièrement au regard du coût supporté par la collectivité. La volonté de l’État de se substituer au marché et aux entrepreneurs pour prendre en main le processus de productivité et d’innovation a parfois conduit à des échecs patents, à l’instar de celui de Quaero. Constatant l’absence d’un « Google français », la puissance publique a investi à partir de 2008 dans la construction d’un concurrent, mais le projet a fini en fiasco, avec l’arrêt total du programme en 2014.
Pour Jean-Marc DANIEL, la politique industrielle française fait clairement fausse route (L’État de connivence, 2014). En effet, elle essaie de se substituer au marché, sans y parvenir. Or, cette volonté entraîne le développement d’une bureaucratie extrêmement lourde, « à côté de laquelle celle de l’URSS pourrait apparaître modérée et anodine », et de rentes qui bénéficient systématiquement à des minorités, au détriment de l’intérêt général. Il faudrait donc, aux yeux de cet auteur, revenir au mécanisme de la concurrence, gage d’efficacité économique.
Un besoin de réformes structurelles… pour faire face à des problèmes structurels
L’économie française est confrontée à plusieurs problèmes de fond. Un chômage de masse sévit depuis la fin des Trente Glorieuses, et les différentes politiques de l’emploi menées depuis quarante ans n’ont jamais réussi à le réduire. Pourtant, CAHUC et ZYLBERBERG écrivaient déjà en 2004 : « nous connaissons aujourd’hui, un peu mieux qu’hier, les grandes de ligne de réformes pour diminuer le chômage et créer des emplois » (Les Ennemis de l’emploi : chômage, fatalité ou nécessité ?). Depuis, la situation s’est aggravée en dépit de cette connaissance, en particulier après la crise de 2008-2009. Ainsi, le taux de chômage français était de 10,5 % en 2015 contre 4,7 % en Allemagne, et 5,5 % en Grande-Bretagne et aux États-Unis. La France est la seule puissance industrielle qui n’a pas réussi à faire baisser son chômage entre 2013 et 2015.
L’économie française souffre ensuite d’une croissance anémique : sa croissance effective (effectivement constatée) et sa croissance potentielle (utilisation optimale des facteurs de production) sont structurellement basses. Cette faiblesse s’explique en partie par l’insuffisance des dépenses de R&D, 25 % plus basses qu’en Allemagne (le nombre de brevets par habitant est également 50 % inférieur). De plus, la France privilégie les placements sans risque (livrets A, assurance vie, immobilier) au détriment de l’investissement productif dans les entreprises nationales, ce qui crée un problème de financement de l’économie.
La fiscalité ne semble pas assez efficace. En 2014, le taux de prélèvement obligatoire français atteignait les 45 %, ce à quoi il faut ajouter que la fiscalité est particulièrement complexe pour les entreprises. Le taux de l’impôt les sociétés est de 36 %, contre 23 % pour la moyenne européenne[1]. Il existe toutefois une forte disparité des taux : le taux effectif d’imposition des PME – dont la capacité d’optimisation fiscale est limitée – est de 39 %, contre 19 % pour les grandes entreprises[2]. Ce sont donc les PME qui subissent la pression fiscale la plus forte alors même qu’elles représentent plus de 60 % de l’emploi dans le pays. Enfin, la fiscalité a surtout atteint un niveau désincitatif pour les entrepreneurs et les investisseurs, dont elle entrave les initiatives.
La société française et ses responsables politiques semblent incapables de mener à bien les réformes nécessaires. Pour ALGAN et CAHUC (2007), la France est en effet une « société de défiance ». Il existe tout particulièrement une défiance de la population vis-à-vis des gouvernements et des tentatives de réformes. Ce sentiment est renforcé par le climat social et la faiblesse du dialogue social, censé contribuer aux réformes.
La nécessité de réformes structurelles apparaît comme l’antienne des différents gouvernements qui se succèdent. En 2004, déjà, le rapport CAMDESSUS demandait à des réformes structurelles pour relever « la France qui tombe ». Le gouvernement VALLS a mis en place, notamment à travers les lois MACRON (2015), un vaste dispositif de réformes structurelles dans le but de libérer la croissance française, en facilitant l’activité des entreprises et en simplifiant un certain nombre de procédés administratifs. Paradoxalement, cependant, ces éléments se surajoutent à d’autres et renforcent ainsi in fine la complexité française.
Une crise des élites
Le thème de la responsabilité des élites prend de plus en plus d’ampleur dans le débat public : elles seraient conservatrices et elles favoriseraient avant tout leur reproduction (cf. BOURDIEU). Ironiquement, cette critique est souvent issue du sommet même de l’establishment, de figures comme Alain MINC ou Matthieu PIGASSE. Ce dernier dénonce une « trahison des élites » qui protègent leurs droits tout en refusant d’assumer leurs devoirs (Éloge de l’anormalité, 2014). En reprenant la distinction wébérienne de l’homme politique qui « vit de la politique » et du militant qui vit « pour la politique » (Le Savant et le Politique, 1919), il dénonce la classe politique, plus obsédée par sa carrière que par le destin de la collectivité.
Dans la partie II de L’étrange défaite de la France dans la mondialisation (2014), Olivier MARTEAU décrit une « élite incapable de relever le défi ». Selon lui, la technostructure française et les élites politico-économiques ont seulement réussi à maintenir « l’illusion d’un pays prospère et bien géré ». Il dénonce également la connivence des différentes élites, facilitée par l’homogénéité des parcours scolaires (Polytechnique, HEC, ENA). Elles seraient prédatrices pour le capitalisme français ; elles l’instrumentaliseraient pour leur propre profit, mais au détriment de l’efficacité économique. Fonctionnant sur la logique de la rente plutôt que sur celle de la compétitivité et de l’innovation, elles comptent sur la proximité avec le pouvoir politique pour continuer à être protégées de la concurrence étrangère. Aux yeux de l’auteur, les élites françaises ont perdu depuis longtemps leur légitimité : « Conformisme, arrogance, refus du risque, absence de remise en cause, autisme décisionnel, les travers avérés du système énarchique mis en exergue par les échecs autant spectaculaires que répétés des inspecteurs des finances ». Il donne en exemples les entreprises « coulées » par cette élite : France Telecom, Vivendi, Moulinex, ou encore Alstom.
[1] Cf. le chapitre « Statistiques d’actualité ».
[2] Apple paie par exemple moins de 2 % d’impôts sur ses bénéfices…