Les enjeux actuels
Ceci est un article issu de livre L'essentiel de l'histoire économique publié en 2017 par Arnaud Labossiere.
L’économie de la connaissance au cœur des stratégies de compétitivité
L’économie de la connaissance est au cœur des dynamiques de compétitivité et de croissance des pays. C’est pourquoi l’Union européenne a lancé en 2000 la « stratégie de Lisbonne » qui visait à faire de l’Europe « l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde » d’ici 2010.
Un des objectifs les plus importants était d’augmenter les efforts de recherche et développement (R&D) en Europe. Force est de constater, malgré cette ambition affichée, que l’Europe souffre aujourd’hui encore d’un retard en termes de R&D : ces dépenses ne représentent encore que 2 % du PIB en Europe, contre 2,8 % aux États-Unis et 3,5 % au Japon. La stratégie de Lisbonne est devenue depuis lors la « stratégie Europe 2020 ».
Toute la question est de savoir à quelles règles du jeu se soumettre : faut-il respecter les règles américaines, élaborées par les Américains à leur profit ? « Jamais de confiance dans l’alli-ance avec un puissant », écrivait VIRGILE… pourquoi l’Europe devrait-elle donc croire en la fiabilité des règles du jeu américaines ? Pour le Français Emmanuel TODD, les États-Unis « sont une puissance prédatrice, ce sont nos ennemis » (Après l’empire, 2002). La Chine a elle fait le choix de ne pas respecter les règles du jeu américaines : les entreprises chinoises ne respectent pas la propriété intellectuelle américaine (ni européenne) et elles s’approprient en toute impunité les connaissances occidentales. Par exemple, les smartphones Xiaomi ressemblent curieusement à ceux d’Apple… En parallèle, ils bloquent, de manière partielle ou totale, l’accès à leur marché aux entreprises occidentales.
SHENG et GENG (Experimental China, 2015) ont par exemple montré comment le gouvernement central chinois a mis en place un protectionnisme éducateur dans le numérique. En effet, il bloque ou il contraint l’accès au marché chinois des géants numériques américains (Google, Facebook, Amazon), ce qui a permis à la Chine de lancer ses propres géants de l’internet : Weibo (le Twitter/Facebook chinois), Baidu (Google), Tencent (Skype), Alibaba (Amazon). L’Europe pourrait s’inspirer de ces initiatives. L’entrepreneur français Laurent ALEXANDRE estime que l’Europe et la France sont trop dépendantes de l’économie de la connaissance américaine, ce qui leur fait courir le risque de devenir une « simple colonie numérique » de la Silicon Valley (Google démocratie, 2011).
Le brain drain : des États-Unis à l’Allemagne
Un pays doté d’une forte économie de la connaissance est une opportunité pour les entreprises étrangères. La présence d’une grande quantité de capital humain[1] (Gary BECKER) et d’une forte productivité – sachant qu’il y a une relation entre le capital humain et la productivité d’après Robert LUCAS – est déterminante pour attirer des IDE dans un pays. Les territoires sont donc plus ou moins attractifs pour les capitaux. Ils le sont également à l’égard du travail. Sous ce rapport, les États-Unis sont historiquement le pays du « brain drain » (dénoncé par le Rapport CARAYON de 2005, intitulé Patriotisme économique, de la guerre à la paix économique).
L’Allemagne tend néanmoins de plus en plus à avoir ce rôle en Europe. Depuis 2010, en effet, le pays attire massivement les talents (scientifiques, ingénieurs, mathématiciens, informaticiens) des pays d’Europe de l’Est (Pologne, Ukraine, etc.) et du Sud (Espagne, Grèce). Le fait que l’anglais y soit très couramment parlé facilite grandement l’insertion de cette immigration dans l’économie et dans la société. La situation de la capitale fédérale, Berlin, en est le parfait exemple.
Le coût significatif des systèmes éducatifs
AGHION et COHEN (Éducation et croissance, 2004) ont montré que la connaissance se caractérise par un retour sur investissement élevé : ils ont mesuré sur un panel de 110 pays combien l’accumulation de capital humain (mesurée en nombre d’années d’étude) avait un impact significatif sur la croissance. Cet investissement certes rentable doit cependant être financé.
En France, un lycéen coûte environ 10 000 euros par an à l’État, soit 38 % de plus que la moyenne des 34 pays de l’OCDE pour « des performances qui ne se distinguent pas particulièrement » (Rapport de la Cour des comptes, 2015). Pour l’économiste Nicolas BOUZOU, ainsi, l’éducation nationale française est particulièrement inefficace. En effet, les fonds ne sont pas alloués avec suffisamment d’efficacité. Dans sa perspective, les dépenses devraient représenter une « courbe en U » : il faut miser sur la maternelle et sur le supérieur, au début et à la fin de la scolarité. Les dépenses affectées au collège et au lycée (celles qui progressent le plus) ne seraient pas les plus efficaces. 120 000 jeunes sortent chaque année du système scolaire sans diplôme et leur taux de chômage est de plus de 20 %.
Les États-Unis sont pour leur part confrontés à une explosion des dépenses d’éducation, et conséquemment de la dette étudiante (qui atteint les 1 300 milliards de dollars en 2015, 75 % des diplômés ayant contracté un crédit moyen de 30 000 dollars). Face à ces coûts astronomiques dont les résultats laissent à désirer, certains États ont misé sur le développement des charter schools, des écoles financées par l’argent public, mais administrées de manière indépendante, ce qui stimule l’innovation pédagogique et l’optimisation des dépenses.
Enfin, le monde de l’éducation fait aussi face au succès de la culture du « Do it Yourself » (DIY). Dans The Personal MBA (2012) par exemple, Josh KAUFMAN propose de transmettre en un livre unique le contenu théorique d’un MBA, et il rend ce faisant cette connaissance beaucoup moins chère. Dale STEPHENS (Hacking Your Education, 2013) estime lui que l’éducation peut-être « hackée », si bien que le passage par l’université est inutile pour la plupart des formations. L’individu peut lui-même accéder à toutes les connaissances et bâtir son expérience. Pendant ce temps, les MOOCs (Massive Open Online Courses) proposent, gratuitement et en ligne, les cours des meilleures universités du monde (sur Coursera, par exemple), et ils mettent à disposition une manne de savoir sous forme de vidéos éducatives (la Khan Academy).
[1] Il y a fondamentalement deux manières de comprendre l’éducation en économie : la théorie du capital humain (Gary BECKER, Human Capital, 1964), d’une part, selon laquelle aller à l’université permet à l’étudiant d’acquérir un savoir et un savoir-faire qui le rendent plus productif et augmentent ainsi son employabilité ; la théorie du signal (Michael SPENCE, prix Nobel d’économie en 2001), selon laquelle les employeurs sont victimes de l’asymétrie d’information : ils reçoivent une multitude de candidatures pour un poste donné, mais ne peuvent pas savoir ex ante quels candidats sont sérieux, lesquels sont efficaces, productifs, etc. ce qui les oblige à se rabattre sur un signal qui constitue un bon indice de la probable productivité du candidat, le diplôme – de ce point de vue, l’université ne rend pas tellement plus productif, mais elle nous permet simplement d’envoyer un signal crédible.