Les unions régionales au XXe siècle
Ceci est un article issu de livre L'essentiel de l'histoire économique publié en 2017 par Arnaud Labossiere.
La crise des années 1930 et la formation de zones monétaires et commerciales
La crise des années 1930 entraîne un repli protectionniste significatif. Paul BAIROCH (Mythe et paradoxe de l’histoire économique, 1994) parle même d’un « effondrement du commerce international ».
Les États se replient sur eux-mêmes ou sur leurs zones d’influence. C’est ainsi que la Grande-Bretagne, par exemple, se replie sur le Commonwealth avec lequel elle crée une zone monétaire et commerciale. D’un point de vue monétaire, Maurice NIVEAU (L’organisation de la zone sterling et le rôle international de la livre, 1953) met en évidence le fait que les pays du Commonwealth ancrent leurs monnaies dans la livre sterling après l’avoir suivie dans sa dépréciation. On peut parler alors d’un « sterling exchange standard » entre ces pays.
D’un point de vue commercial, avec les accords d’Ottawa de 1932, les pays du Commonwealth s’accordent réciproquement des avantages sous forme de réduction, voire d’élimina-tion de droits de douane. C’est la préférence impériale. Le Canada va ainsi augmenter ses exportations de 60 % et ses importations de 25 % à l’égard du Royaume-Uni entre 1931 et 1937.
L’Europe industrielle
En 1951, la France, la RFA, l’Italie et les pays du Benelux créent la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA) dans le but de favoriser la coopération et la reconstruction, mais surtout d’éviter qu’une nouvelle guerre ne survienne entre ces pays. Il s’agissait aussi de mettre en commun les industries « où se forgeaient les armes de la guerre » comme l’écrit Jean MONNET dans ses Mémoires (1976). C’est le début d’une véritable politique industrielle européenne.
Puis, avec le projet Euratom en 1957, la politique industrielle touche désormais l’énergie, avec l’ambition de placer l’Europe sur la frontière technologique. La création d’Airbus en 1970 montre la volonté des Européens de peser dans le marché de l’aviation civile et de concurrencer l’américain Boeing. Conformément à la théorie de James BRANDER et de Barbara SPENCER (Export Subsidies and International Market Share Rivalry, 1983), en effet, à partir du moment où il existe des rendements d’échelle croissants sur un marché oligopolistique, des subventions publiques se justifient pour y faire entrer un nouvel acteur.
L’Europe agricole
Mise en place à l’échelle de l’Union européenne, la Politique agricole commune (PAC) est une politique fondée principalement sur des mesures de contrôle des prix et de subventions qui vise à moderniser et développer l’agriculture. La PAC est créée en 1957, mais seulement mise en place à partir de 1962.
L’article 38 de la PAC en définit les principaux objectifs :
- augmenter la productivité agricole ;
- assurer un niveau de vie équitable aux agriculteurs ;
- stabiliser les marchés agricoles ;
- sécuriser les approvisionnements ;
- assurer un prix et une qualité raisonnables.
Cette politique représente un investissement significatif : 40 % du budget européen en 2013, 33 % en 2015. Sur le plan économique, néanmoins, elle constitue un refus du libre jeu du marché, et elle a par conséquent donné lieu à des conflits entre les États-Unis et l’Union européenne. Ainsi, avec les accords de Blair House signés en 1992 avec les États-Unis, l’UE accepte une réduction de sa subvention à l’exportation sur les sojas.
La PAC a connu de nombreuses réformes depuis les années 1980. Par exemple, des quotas ont été mis en place à partir de 1984 dans le but d’éviter la surproduction, ce qui a progressivement déconnecté les aides de la production (les aides devenant davantage structurelles). En 2003 a été introduite la conditionnalité des aides aux agriculteurs : ceux-ci doivent désormais respecter certaines normes environnementales et animales.
L’Europe commerciale
Paul KRUGMAN (Geography and Trade, 1991) montre que des pays géographiquement proches ont tendance à commercer entre eux en raison d’un effet d’agglomération spatiale. Dans cette logique, le traité de Rome institue en 1957 la Communauté économique européenne (CEE). Il s’agit d’une zone de libre-échange, qui devient une union douanière en 1968. L’Acte unique signé 1986 instaure un marché unique européen avec une libre circulation des biens et services, des personnes, des capitaux et des entreprises.
Conformément à la théorie de Jacob VINER (The Custom Union Issue, 1957), l’Europe commerciale donne lieu à deux phénomènes : un effet de distorsion de trafic, un de création de trafic. Le premier effet correspond à une réduction du trafic vis-à-vis des pays extérieurs à la zone d’échange, tandis que le second correspond à une création de trafic au sein de la zone du fait de l’union régionale. En effet, plus de 60 % des échanges commerciaux des pays européens sont actuellement intra-européens.
L’Europe monétaire : de l’UEP au SME
« L’Europe se fera par la monnaie ou ne se fera pas » déclarait Jacques RUEFF dès 1949, à une époque où la construction européenne commence effectivement d’un point de vue monétaire. Il s’agissait alors de répartir l’aide du plan Marshall entre les pays européens. Pour cela, l’Union européenne des Paiements (UEP) est créée en 1950, qui durera jusqu’en 1958.
Près de vingt ans plus tard, la fin du système de Bretton Woods et les accords de la Jamaïque (1976) plongent cependant l’ensemble des relations des monnaies européennes dans l’anarchie. Les pays de la CEE mettent alors en place le « serpent monétaire européen » (1972-1978) pour stabiliser les variations des changes et ainsi restaurer la stabilité monétaire nécessaire aux échanges commerciaux européens. Dans ce système, une monnaie ne peut pas fluctuer au-delà de +/- 2,25 % du taux bilatéral. Si la monnaie sort de cette marge de fluctuation, les Banques centrales interviennent alors sur le marché en achetant ou en vendant des devises pour rééquilibrer le système.
En 1979, le serpent est remplacé par le Système monétaire européen (SME), lequel crée des marges de fluctuation élargies. Au centre du SME se trouve l’ECU (European Currency Unit), une monnaie composée d’un panier de devises européennes et dont la valeur varie en fonction de celles de ces devises. Chacune de celles-ci a alors une parité définie en fonction de l’ECU, ce qui rend le système nettement plus flexible que celui du serpent.
L’Europe monétaire : de la crise du SME à l’euro
La réunification allemande (1989-1990) vient cependant perturber le système du SME. En effet, l’Allemagne mène une politique monétaire restrictive pour juguler son inflation interne, ce qui tend à faire apprécier le Deutsche Mark sur le marché des changes. Or, le mark était la monnaie la plus influente du système, en conséquence de quoi les autres pays sont contraints de s’aligner sur cette politique monétaire restrictive, laquelle est par la suite à l’origine de difficultés économiques internes.
C’est ainsi que le spéculateur George SOROS, anticipant la sortie de la livre sterling du SME, spécule sur la chute du cours de la monnaie britannique : son pari est réussi, à hauteur d’une plus-value d’environ 1,1 milliard de dollars (!). Le SME entre donc en crise entre 1992 et 1993, et les marges de fluctuation sont en réponse élargies à +/- 15 %.
En 1992, le traité de Maastricht définit une feuille de route pour que les pays de l’Union européenne s’acheminent vers une monnaie unique et commune : l’euro. Pour en assurer la crédibilité, des critères de convergence sont définis avec le Pacte de stabilité et de croissance (PSC, 1997). Ainsi, le déficit public et la dette publique d’un pays ne doivent pas dépasser respectivement 3 % et 60 % de son PIB.
Le cas de l’URSS
L’URSS constitue un cas très particulier d’union régionale forcée et quasi hermétique. En réaction au plan MARSHALL et à la création de l’OECE (ancêtre de l’OCDE) en 1948, STALINE met en place le Conseil d’Assistance économique mutuel (CAEM) en 1949. Il s’agit d’un système de compensation et d’échange entre les pays membres qui accompagne la planification soviétique. Le système s’est vite embourbé dans des contraintes administratives et bureaucratiques, notamment à cause de l’absence de convertibilité entre les monnaies.
Il y avait en plus la tendance de chaque pays communiste à vouloir faire entrer dans les circuits du CAEM ses propres invendus. GORBATCHEV n’appelait pas pour rien le CAEM la « poubelle du socialisme ». Le système ne semble pas avoir, in fine, contribué à la croissance ni avoir établi de réelle complémentarité entre les économies nationales. On constate d’ailleurs une stagnation des échanges à partir des années 1980.
Les autres unions régionales dans le monde
Si l’Union européenne est l’espace régional le plus abouti, il en existe néanmoins de nombreux autres. On peut citer par exemple l’Association des nations de l'Asie du Sud-Est (Association of South-East Asian Nations, ASEAN), créée en 1967, qui regroupe entre autres les Philippines, l’Indonésie, Singapour et la Thaïlande. En 1991, l’Argentine, le Brésil le Paraguay et l’Uruguay se rassemblent dans le Mercosur (ou Marché commun du Sud). Jagdish BHAGWATI (L’Éloge du libre-échange, 2005) se montre très critique vis-à-vis de la multiplication de ces unions régionales qu’il voit comme des entraves au libre-échange.