Réindustrialisation ou désindustrialisation?
Ceci est un article issu de livre L'essentiel de l'histoire économique publié en 2017 par Arnaud Labossiere
La « manufacturing renaissance » américaine
« Pour de nombreuses industries, il est devenu tout à fait rationnel de ramener les emplois à la maison » déclare Barack OBAMA en septembre 2012. Après quinze ans de délocalisations, on assiste donc désormais à un timide retour des emplois industriels aux États-Unis.
Le nombre d’emplois manufacturés est ainsi passé de 11,46 millions en 2010 à 11,96 millions en 2012. Dans son étude intitulée Made in America, Again (2011), le Boston Consulting Group (BCG) anticipe une « manufacturing renaissance ».
Les causes de ce phénomène sont les efforts de R&D, les coûts de transport, le non-respect de la propriété intellectuelle et la hausse progressive des salaires en Chine. On peut aussi mentionner l’exploitation, à partir des années 2000, mais surtout depuis 2010-2012, d’une nouvelle énergie devenue meilleur marché : le gaz de schiste. Selon une étude de Pricewaterhouse Coopers (« Shale Gas, a renaissance in US manufacturing ? », 2011), la baisse du prix de l’énergie aux États-Unis grâce à cette nouvelle ressource procure un avantage comparatif : l’essor de ce gaz, qui couvre 30 % des besoins américains, pourrait ainsi générer un million d’emplois industriels d’ici à 2025. Dans son article Shale Gas to the rescue (2013), Robert SKIDELSKY voyait dans l'exploitation du gaz de schiste un moyen de renouer avec la croissance aux États-Unis, et donc de retarder la stagnation séculaire (situation durable d'absence de croissance économique).
L’espoir suscité par l’exploitation du gaz de schiste a cependant été annihilé en 2015 avec la chute du prix des hydrocarbures (baril de pétrole descendu sous les 40 dollars) qui a ruiné les entreprises de gaz de schiste. En effet, ces dernières ne sont rentables qu’à partir d’environ 50 dollars le baril, c’est pourquoi elles ont connu des pertes significatives et subi une fuite des capitaux (30 milliards de dollars sur le premier semestre de 2015).
Le retour des politiques industrielles en France
« Le colbertisme industriel a eu sa valeur, mais il a vécu », avouait Jacques CHIRAC en 2005. Mais les temps ont manifestement changé, et avec eux les consensus. On assiste ainsi au grand retour des politiques industrielles en France. En 2012 est créé le Ministère du Redressement productif, qui se voit attribuer la mission de défendre et soutenir les industries françaises.
Le mot d’ordre est la compétitivité. Le rapport GALLOIS (rendu le 5 novembre 2012) définit les grandes priorités pour renforcer la compétitivité de la France et sauver son industrie. Parmi les propositions on peut citer la baisse des cotisations sociales, l’utilisation du gaz de schiste et la sanctuarisation des dépenses de R&D.
Sous l'impulsion de l'État (en 2004), la France a aussi développé des « pôles de compétitivité ». Le site web gouvernemental dédié à ces pôles (competitivite.gouv.org) les définit de la manière suivante : « un pôle de compétitivité rassemble sur un territoire bien identifié, et sur une thématique ciblée, des entreprises, petites et grandes, des laboratoires de recherche, et des établissements de formation. Les pouvoirs publics nationaux et locaux sont étroitement associés à cette dynamique. » L’Hexagone en comptait 71 en 2014.
Ces gisements d’emplois inexploités dans les services
Compenser la perte d’emplois due à la désindustrialisation requiert d’identifier et d’exploiter des gisements d’emplois dans les services. Thomas PIKETTY (1998) estimait par exemple qu’il fallait se servir du secteur tertiaire pour dynamiser le marché du travail en France. Il donne l’exemple du secteur de la restauration : si la France avait créé le même nombre d’emplois par habitant que les États-Unis dans la deuxième moitié du XXe siècle dans les secteurs de la restauration et de l’hôtellerie, elle aurait ainsi créé près de 2,8 millions d’emplois supplémentaires. (il y a environ 3 millions de chômeurs en France).
De leur côté, CAHUC et DEBONNEUIL (Productivité et emplois dans le tertiaire, 2004) ont fait remarquer que deux à trois heures de services domestiques hebdomadaires pourraient créer environ 2 millions d’emplois. Dans cette logique, le Plan BORLOO de développement des services à la personne (2005) a cherché à encourager les services de proximité, en particulier de la garde d’enfants et l’aide aux personnes âgées. Par exemple, la mise en place du chèque emploi-service a diminué le nombre d’emplois non déclarés en rendant fiscalement attractif l’emploi de femmes de ménage.
Abandonner l’industrie ?
Vingt millions d’actifs travaillent dans le tertiaire en France, et ils produisent 80 % de la valeur ajoutée. On peut donc légitimement se demander si l’impératif de compétitivité ne doit pas se faire dans ce secteur, plutôt que de maintenir nos industries en vie avec une forme d’« acharnement thérapeutique ». Quand, par exemple, Serge TCHURUK arrive en sauveur à la direction d’Alcatel en 1995, il se donne ainsi pour défi de transformer le groupe en une « entreprise sans usine ». Sa démarche consiste à miser sur les activités à haute valeur ajoutée (marketing, recherche & développement, etc.) et à se délester, auprès de sous-traitants, des activités industrielles à moindre valeur ajoutée comme l’assemblage des produits. Le PDG résume ainsi sa philosophie : « la valeur ajoutée manufacturière tend à décroître, tandis que la valeur immatérielle s’accroît sans cesse ». Résultat ? Les effectifs mondiaux de l’entreprise s’effondrent, tout comme son cours de bourse : la stratégie est un échec.
Apple prospère cependant en fonctionnant d’une manière similaire. La firme à la pomme concentre ses activités tertiaires et à haute valeur ajoutée dans les PDEM, tandis qu’elle confie la fabrication des produits à des sous-traitants étrangers. Par exemple, l’assemblage de produits emblématiques comme l’iPhone se fait à Shenzhen (Chine), par Foxconn, dans des conditions de travail qui ont défrayé la chronique à plusieurs reprises (suicides à la chaîne en 2010). L’inscription gravée sur tous les produits de la marque en atteste : « Designed by Apple in California. Assembled in China ».
Inventer de nouvelles industries
« Les inventions qui dorment dans le giron des dieux peuvent être encore plus productives que celles qui nous ont été révélées » écrit Joseph A. SCHUMPETER (Capitalisme, socialisme et démocratie, 1942). Encore faut-il découvrir ces inventions. Cela passe, entre autres, par la recherche fondamentale, la recherche et développement (R&D), la création et la diffusion de la connaissance. Le concept d’économie de la connaissance prend alors tout son sens. La Stratégie de Lisbonne[1] (2000) visant à faire de l’Europe « l’économie de la connaissance la plus compétitive du monde d’ici à 2010 » s’inscrivait dans cette logique. En 2013, la part du secteur public dans la recherche et développement atteint 36 % en France (contre 25 % aux États-Unis), ce qui peut être considéré comme une politique industrielle indirecte qui s’effectue très en amont.
En termes de nouvelles industries à inventer, le développement de l’impression en trois dimensions (3D) ouvre par exemple des perspectives intéressantes. D’après Nicolas COLIN, l’enjeu de l’imprimante 3D est de produire des petites séries sur mesure (avec une grande flexibilité). Elle constitue donc une alternative aux séries longues fabriquées en Chine, puis acheminées en Europe. Les objets connectés sont également à l’origine de nouvelles industries et de nouveaux services. D’après la banque Goldman Sachs, il y aura 20 milliards d’objets connectés dans le monde en 2020 (reste à savoir s’ils seront fabriqués en Chine…).
Les nouveaux capitaines d’industrie
Beaucoup de nouveaux capitaines d’industrie sont issus du monde du logiciel. Elon MUSK est peut-être le plus célèbre d’entre eux. Après avoir lancé plusieurs entreprises dans le domaine du logiciel et de l’internet (Zip2 et PayPal), il s’est essayé à l’industrie. Avec Tesla Motors, il révolutionne ainsi l’automobile en fabriquant des voitures 100 % électriques aussi, voire plus performantes que les voitures haut de gamme. Cette entreprise a été créée en 2003 et elle emploie plus de 13 000 personnes en 2015.
Sa deuxième entreprise, SpaceX, développe des fusées low cost, et elle est aujourd’hui un des premiers sous-traitants de la NASA. Son objectif à moyen terme est de coloniser Mars, le meilleur moyen (selon l’entrepreneur) de garantir la survie de l’humanité : « Si vous regardez le futur, il y a une différence fondamentale entre une humanité qui cherche à conquérir l’espace et une qui serait confinée sur Terre pour l’éternité, avec la perspective éventuelle d’une extinction ». Elon MUSK est aussi un des fondateurs de Solar City, la première entreprise américaine de panneaux solaires.
[1] La stratégie de Lisbonne a été depuis remplacée par la stratégie « Europe 2020 » qui vise une « croissance intelligente, durable et inclusive ».