Un capitalisme pas vraiment meilleur ?
Un capitalisme mondialisé, financier, immatériel mais pas vraiment meilleur ? Un nouveau capitalisme qui pèse...
Ceci est un article issu de livre L'essentiel de l'histoire économique publié en 2017 par Arnaud Labossiere.
Un capitalisme mondial
La chute de l’URSS et l’adoption d’une forme de capitalisme en Chine signent la victoire du capitalisme sur les modèles communistes. Ces deux pays (la Russie pour l’URSS) ont aussi rejoint l’OMC et ils prennent part à la mondialisation. Une des caractéristiques marquantes du capitalisme actuel réside donc dans son caractère mondial. Très peu de pays dans le monde échappent véritablement à la logique capitaliste.
Les firmes multinationales (FMN) sont peut-être le symbole de ce capitalisme. Elles réalisent plus du quart du PIB mondial. Et elles sont souvent issues des pays de la Triade (États-Unis, Europe, Japon). On assiste aussi à la montée en puissance des multinationales originaires des pays émergents. Mittal (Inde) a par exemple fait une OPA sur le français Arcelor en 2006. Et Tata Motors (Inde) a repris le Britannique Range Rover en 2008. Les FMN peuvent tomber en sujet ESH.
Dorénavant, la plupart des produits sont « Made in Monde » (d’après l’expression de Suzanne BERGER). Car ils sont fabriqués au sein d’une division internationale des processus productifs (DIPP). Toutefois, « une mondialisation peut en cacher une autre » (Alain LIPIETZ). Comme en témoigne l’exploitation des travailleurs (adultes ou enfants) dans de nombreux pays moins avancés. L’organisation internationale du travail (OIT) dénonce maintenant depuis des années les conditions de travail. Ainsi que le travail des enfants dans les ateliers des FMN, ou de leurs sous-traitants. Le rapport China Labor Watch (2015) a révélé que les ouvriers chinois fabriquant l’iPhone 6 étaient payés 1,85 dollar de l’heure. Mais aussi qu’ils travaillaient 12 heures par jour, 6 jours par semaine. Et qu’ils vivaient dans des logements « insalubres et surpeuplés ».
Un capitalisme financier
La déréglementation et la globalisation financières survenues depuis les années 1980 ont « financiarisé » le capitalisme. Les marchés et les acteurs financiers ont en effet acquis un pouvoir considérable. Et ils semblent dicter de plus en plus leurs conditions aux États comme aux entreprises. Claude BÉBÉAR, le fondateur d’AXA, dénonce dans Ils vont tuer le capitalisme (2003) les analystes financiers, les spéculateurs et les fonds d’investissement. Le « Ils » du titre imposent des directives et des seuils de rentabilité absurdes aux entreprises.
Si le poids de la finance par rapport au PIB a décru depuis la crise de 2008, il demeure cependant à des niveaux très élevés.
Les exigences de rentabilité ont des effets qui choquent l’opinion publique, à l’instar du phénomène des « licenciements boursiers ». Ceux-ci consistent à réaliser un plan social alors que l’entreprise réalise des bénéfices, dans le but de faire grimper le cours de bourse. On peut donner l’exemple de l’entreprise Michelin qui, en septembre 1999, supprimait 7 500 emplois alors que le bénéfice semestriel était déjà en hausse de 20 %. Cette mesure a provoqué une progression du cours de bourse de 12 % le lendemain.
Dès 1987, le film d’Oliver STONE Wall Street annonçait la couleur en dressant du spéculateur Gordon Gekko, symbole des excès et de la cupidité du capitalisme financiarisé. Un personnage mythique dont le slogan était « Greed is good. ».
Un capitalisme immatériel
L’autre caractéristique marquante du capitalisme actuel est son caractère immatériel. Les services pèsent de plus en plus lourd dans la croissance, les emplois et les échanges internationaux. Les plus grandes FMN au monde sont des entreprises de service. On peut citer les entreprises du numérique comme Google, Facebook ou encore Amazon. Toutes trois regroupées avec Apple dans l’acronyme GAFA. En 2018, Facebook comptabilisait 2,2 milliards d’utilisateurs actifs mensuels et sa capitalisation boursière était supérieure à 500 milliards de dollars.
Comme le rappelle Nicolas COLIN (coauteur avec Henri VERDIER de L’Âge de la multitude, 2015), les géants du numérique ont détrôné les groupes pétroliers à la tête du classement des plus grosses capitalisations boursières au monde. Ces entreprises font aussi vivre tout un écosystème tertiaire.
D’après les chiffres fournis par Apple, le secteur des applications iPhone a été à l’origine de la création de 671 500 emplois en Europe. Cependant, le tertiaire semble malheureusement s’accompagner d’une précarité grandissante pour de nombreux travailleurs. Jeremy RIFKIN (La fin du travail, 1997) faisait part de son inquiétude face l’apparition d’une « multitude mal payée du tertiaire ». Un constat corroboré par Robert REICH dans Supercapitalisme (2008). Celui-ci montre que le secteur tertiaire paie tendanciellement moins bien que le secteur secondaire. Dans les années 1960, un salarié de General Motors (industrie) gagnait 60 000 dollars par an. Quand aujourd’hui un salarié de Wall Mart (services) ne gagne que 17 000 dollars par an.
Capitalisme cognitif et économie de la connaissance
« Le savoir est devenu la ressource » (Peter DRUCKER). Il représente en effet un atout pour les entreprises. On parle depuis les travaux de Gary BECKER (The Human Capital, 1964) de « capital humain » pour désigner l’ensemble des savoirs et savoir-faire accumulés par les individus et qui les rendent plus employables et plus productifs. Les connaissances semblent notamment contribuer à la croissance. COHEN et AGHION (Éducation et croissance, 2004) ont mesuré une corrélation entre l’éducation et la croissance. Sur un panel de 110 pays, ils montrent que l’accumulation de capital humain (calculée en nombre d’années) participe significativement à la croissance économique du pays.
L'éducation devient importante ?
On assiste en particulier à une envolée des dépenses d’éducation dans les PDEM. Aux États-Unis, la dette des étudiants atteint un niveau préoccupant, passant de 500 milliards de dollars en 2007 à 1 270 en 2015. L’entrepreneur et investisseur Peter THIEL (cofondateur de PayPal) parle ainsi d’une « bulle universitaire » (« education bubble »), contre laquelle il a lancé un programme, intitulé « 20 under 20 », qui consiste à payer 100 000 dollars des étudiants très talentueux afin qu’ils s’engagent dans un projet entrepreneurial plutôt que d’aller à l’université. À ses yeux, l’université est devenue trop chère, et, dans le même temps, se former en dehors de l’institution est tout à fait possible.
Le savoir est aussi un facteur de compétitivité. Le décollage industriel de l’Allemagne à partir des années 1880, ou encore le développement de la Corée du Sud depuis les années 1970, ont tous les deux été permis par des investissements massifs dans l’éducation et la recherche. La propriété intellectuelle est donc au cœur des enjeux commerciaux, comme en témoigne la guerre des brevets entre Apple et Samsung. Rappelons que la législation sur les brevets est très ancienne : dès 1623, le parlement anglais vote la loi sur les brevets intitulée « Statute of monopolies » (« Statut des monopoles »).
Un capitalisme sans morale ?
Jean-Christophe RUFIN annonçait avec prescience dans La dictature libérale (1993) que la chute du communisme allait perturber le capitalisme. Dans son analyse, l’URSS avait un rôle régulateur qui canalisait les excès libéraux du capitalisme. L’existence d’un contre-modèle poussait le capitalisme à bien se tenir. En Russie, le passage au capitalisme a eu des conséquences désastreuses. Joseph STIGLITZ parle ainsi d’un « capitalisme des copains et des mafieux » qui s’est mis en place depuis la présidence ELTSINE (1991-1999). Et cela, pendant laquelle le PIB par habitant russe a aussi été divisé par deux.
Les excès et le manque d’éthique du capitalisme sont plus généralement pointés du doigt dans l’opinion publique. Avec les paradis fiscaux, délits d’initiés, scandales financiers (cf. l’escroquerie de type « Ponzi » de Bernard MADOFF révélée fin 2008), crises et accroissement des inégalités… Les pratiques décriées d’entreprises comme Monsanto (biotechnologies agricoles) ou Goldman Sachs (banque) sont devenues les symboles d’un capitalisme dit « sans morale ».
« Mais pour dire la vérité, l’opposition au capitalisme n’existe plus [...] La solidité du capitalisme ne tient pas tant à ses succès qu’à l’absence d’une proposition alternative » juge ainsi Paul KRUGMAN (Pourquoi les crises reviennent toujours, 2008).
Un capitalisme menacé ?
Sujet ESH bien possible. Le capitalisme peut sembler aujourd’hui menacé dans la mesure où une nouvelle économie dite « du partage » gagne du terrain. Avec l’apparition des communaux collaboratifs, le capitalisme triomphant vit possiblement ses dernières heures. Le capitalisme a besoin de profit pour survivre, or, avec le développement de l’économie du partage tout semble se modifier.
Dans La société du coût marginal en 2014, RIFKIN expliquait qu'avec l'apparition de l'économie du partage le coût marginal. C'est à dire le coût de production d’une unité supplémentaire, devient quasi nul. L'auteur distingue le marché capitaliste de ce nouveau modèle économique. Il écrivait ainsi « si le marché capitaliste a pour fondement l’intérêt personnel et pour moteur le gain matériel, les communaux collaboratifs sociaux sont motivés par des intérêts collaboratifs ».
RIFKIN en vient à la conclusion suivante : « si produire chacune de ces unités supplémentaires ne coûte rien, le produit devient donc quasiment gratuit et le profit, la sève qui fait vivre le capitalisme, se tarit ». Le constat de l'auteur est clair, le système capitalisme est en péril.