Une mondialisation irréversible ?
Ceci est un article issu de livre L'essentiel de l'histoire économique publié en 2017 par Arnaud Labossiere.
Le rattrapage des PED grâce à leur insertion dans la mondialisation
L’insertion dans le commerce international semble avoir été bénéfique à certains pays en développement (PED), notamment grâce à des stratégies de remontée de filière et d’industrialisation par substitution aux importations.
En Corée du Sud, par exemple, l’État est main dans la main avec les grands groupes industriels depuis les années 1970 pour organiser le commerce extérieur et ainsi faire évoluer la spécialisation du pays. Alors que l’industrie représentait 20 % de ses exportations à la fin des années 1970, elle en représente aujourd’hui 80 %.
C’est ainsi que les PED sont aujourd’hui à l’origine de plus de la moitié de la production industrielle mondiale. Pour François HEISBOURG (Vainqueurs et vaincus : lendemains de crise, 2010), les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, et Afrique du Sud) ont tout particulièrement su tirer profit de la crise pour se développer. Le titre du premier chapitre de son livre, « La Chine sur un air de triomphe », en est très révélateur.
L’Occident face à la peur des délocalisations et du déclin
Une délocalisation se définit comme le transfert par une société internationale d'activités, de capitaux et d'emplois dans des régions du monde offrant pour elle un avantage compétitif grâce à des coûts inférieurs, à des pôles de compétence ou des infrastructures particulièrement adaptées.
« L’anticipation lointaine de concurrence entre les travailleurs du monde est devenue aujourd’hui, semble-t-il, une réalité » (Suzanne BERGER). Aujourd’hui, la mondialisation est une mauvaise chose pour l’emploi dans l’esprit de plus de 70 % des Français[1]. On accuse la mondialisation et la concurrence des pays à bas salaire d’être à l’origine des délocalisations, et donc des destructions d’emplois (en particulier dans le secteur industriel). Maurice ALLAIS (prix Nobel d’économie en 1988) dénonçait le « dumping social » mis en place par ces pays qui ont des standards de sécurité sociale de loin moins élevés (et donc moins coûteux) que les pays développés à économie de marché (PDEM).
Notons néanmoins que d’après les statistiques de l’OCDE, pour un pays comme la France, les délocalisations représentent moins de 10 % des destructions d’emplois – ce qui n’empêche pas les théories protectionnistes de revenir sur le devant de la scène. Paul KRUGMAN s’oppose en ces termes aux théories prônant le retour au protectionnisme en Occident face aux PED : « C’est la peur de la réussite du tiers-monde, pas sa réussite elle-même, qui représente un réel danger pour l’économie mondiale ».
L’obsession de la compétitivité
Paul KRUGMAN dénonçait dans les années 1990 « l’obsession de la compétitivité » (La mondialisation n’est pas coupable, 1996), une obsession qui s’est accrue avec la crise actuelle. L’instrument protectionniste privilégié semble être devenu la monnaie : la stratégie consiste à sous-évaluer sa monnaie, ou bien à exercer une pression à la baisse sur le marché des changes afin que les entreprises nationales gagnent en compétitivité-prix.
C’est ainsi que le Yuan chinois, sous-évalué d’environ 40 % par rapport au dollar américain, profite grandement au commerce extérieur chinois. Patrick ARTUS parle à ce propos d’un « spectre de la guerre des monnaies ».
Une gouvernance mondiale en difficulté
« Aujourd'hui, la mondialisation, ça ne marche pas. Ça ne marche pas pour les pauvres du monde, ça ne marche pas pour l’environnement, ça ne marche pas pour la stabilité de l’économie mondiale » écrit Joseph STIGLITZ (La Grande Désillusion, 2002). Il montre que le problème fondamental de la mondialisation est sa gouvernance, car « la mondialisation économique est allée plus vite que la mondialisation politique ». La gouvernance économique ne concerne toutefois pas seulement les relations commerciales, mais aussi les relations financières, ou encore l’écologie et les conditions de travail dans le monde.
Il existe notamment un problème de légitimité des institutions internationales (comme le FMI ou la Banque mondiale). En effet, les PED leur reprochent d’être contrôlées par l’Europe et les États-Unis et de n’être par conséquent qu’au service de leurs intérêts. Paul VOLCKER (ancien président de la Fed) n’a-t-il d’ailleurs pas déclaré que « quand le FMI a affaire à un pays pauvre, c’est le pays qui obéit, quand il a affaire à un pays développé, c’est le FMI qui obéit » ? Sa critique de ces institutions n’a pas empêché la Russie d’entrer au sein de l’OMC en août 2012 (elle est devenue le 156e membre) après plus de dix-huit ans de négociation...
Toutefois, l'OMC et sa méthode (le multilatéralisme) rencontrent aussi des difficultés croissantes. Le nombre de membres a certes augmenté – seuls 23 pays négociaient lors de la signature du GATT, contre 161 aujourd'hui –, mais les pays sont très hétérogènes, en conséquence de quoi ils n'ont pas les mêmes besoins et objectifs, comme l’atteste l'échec du cycle de Doha, après que les négociations ont été suspendues en 2006 faute d’accord sur la libéralisation de l’agriculture. Compte tenu de cette complexité, Dani RODRIK (Nations et mondialisation, 2009) suggérait de revenir à de légers protectionnismes supranationaux mis en place à l'échelle des unions économiques régionales – telle serait selon lui la meilleure échelle pour apporter une vraie solution à la fois commune à plusieurs États et adaptée aux spécificités de chacun.
La gestion de la question environnementale semble également bloquée. Le protocole de Kyoto entré en vigueur en 2005 n'a pas permis une réduction des émissions de CO2 à l'échelle mondiale : elles sont passées de 29 milliards de tonnes en 2005 à 37 en 2014 (+ 27 %). Ayant accouché d’un accord dépourvu de contrainte juridique, le sommet de Copenhague de 2009 a été un échec. En 2015, un rapport du FMI chiffrait à dix millions de dollars par minute les subventions et aides accordées, au niveau mondial, aux secteurs des énergies fossiles.
Enfin, la mondialisation souffre d'un manque de transparence. Les firmes multinationales poussent l’optimisation fiscale aussi loin que possible, tandis que les acteurs de l’économie mondiale (gouvernements, entreprises, institutions) négocient dans le secret. En 2015, le site Wikileaks s'est par exemple trouvé comme allié Yanis VAROUFAKIS, l’ex-ministre des Finances grec, pour chercher à divulguer la teneur des accords TAFTA, le traité de libre-échange controversé entre l'Union européenne et les États-Unis. Alors que ces accords sont négociés pour les citoyens des différents pays et en leur nom, ces derniers n'ont pas accès au contenu des négociations.
[1] Selon un sondage IFOP de 2012, 75 % des Français considèrent que la concurrence internationale avec des pays comme la Chine ou l'Inde aura durant les dix prochaines années des conséquences négatives sur l'emploi en France.