XXe siècle : de l’industrie aux services
Ceci est un article issu de livre L'essentiel de l'histoire économique publié en 2017 par Arnaud Labossiere
La politique industrielle française : nationalisation et planification
Les nationalisations industrielles et bancaires placent les manettes de l’économie française dans les mains de l’État, lui permettant ainsi mener une politique industrielle ambitieuse à l’aide de la planification.
Le Commissariat général au Plan est créé en 1946 à l’initiative de Jean MONNET. La même année, le premier plan est adopté, qui définit les secteurs de base de l’économie française : charbon, acier, électricité, transport et ciment (il s’agissait de reconstruire le pays après la guerre).
Les plans sont à l’origine de grandes réussites industrielles (par exemple celle du TGV depuis 1981) et de la création de grands groupes. À ce sujet, ASSELAIN parle dans son Histoire économique de la France de « la création ou le développement de groupes à capitaux français de taille internationale ». Le sixième plan (1971) est celui de l’impératif industriel face à une concurrence globalisée.
L’Europe industrielle
La construction européenne a d’abord été industrielle, avant d’être politique. La politique industrielle européenne commence avec la Communauté européenne du Charbon et de l’Acier (CECA) créée en 1951. Il s’agissait de mettre en commun les industries « où se forgeaient les armes de la guerre » comme l’écrit Jean MONNET dans ses Mémoires (1976). Avec le projet Euratom de 1957, la politique industrielle concerne désormais l’éner-gie nucléaire, avec pour ambition de placer l’Europe sur la frontière technologique. La création du constructeur aéronautique Airbus en 1970 démontre la volonté des Européens de peser dans le marché de l’aviation civile.
Conformément à la théorie de BRANDER et SPENCER (International R&D Rivalry, 1983), à partir du moment où il existe des rendements d’échelle croissants, des subventions publiques se justifient pour faire apparaître ou grandir un nouvel acteur.
L’industrialisation des pays en développement (PED)
Dans certains PED, l’État enclenche le processus d’industria-lisation et de développement en coordonnant les investissements vers les industries générant le plus d’effets d’entraî-nement. L’économiste Paul ROSENSTEIN-RODAN appelle cette stratégie le « Big Push » (Problems of Industrialization of Eastern and South- Eastern Europe, 1943).
Cela a également pu prendre la forme de « stratégies d’in-dustries industrialisantes » qui donnent la priorité au secteur des biens d’équipement ou à l’industrie lourde, comme le suggère Gérard DESTANNE DE BERNIS (Industries industrialisantes et contenu d’une politique d’intégration régionale, 1966), via des planifications. Cela a par exemple été fait en Inde avec le deuxième plan quinquennal (1953-1957), ou en Algérie, où l’industrie passe de 38 % du PIB en 1965 à 56 % en 1981. Mais l’industrialisation des PED peut aussi se faire par l’insertion dans le commerce international, et par des stratégies d’industrialisation par promotion des exportations et remontée de filière, comme en Corée du Sud.
L’industrialisation des PED est en partie vue d’un mauvais œil dans les PDEM. En 1992, lors de la signature de l’ALENA entre les États-Unis, le Canada et le Mexique, le membre du congrès américain Ross PEROT (indépendant) mettait ainsi son pays en garde contre le « grand bruit de succion » qu’il entendrait quand tous les emplois migreraient vers le Sud. Cette peur (pas forcément fondée) n’a pas disparu depuis.
Désindustrialisation et tertiarisation : deux mouvements conjoints
En France, les effectifs industriels ont diminué de 36 % (plus d’un tiers) depuis 1980 : la main-d’œuvre utilisée dans l’industrie est passée de 5,3 millions de personnes en 1980 à 3,3 millions aujourd’hui.
Trois évolutions fondamentales expliquent ce double mouvement.
En premier lieu, elles externalisent leurs services : les entreprises se recentrent sur leurs corps de métier (core business) à partir des années 1980, et elles sous-traitent donc des activités comme l’entretien ou le marketing à des entreprises spécialisées. Dans ce schéma, il n’y a pas de destruction d’emplois à proprement parler, mais seulement un transfert de main d‘œuvre.
La deuxième évolution remarquable est le changement des normes de consommation : conformément à la théorie du statisticien Ernst ENGEL (Les conditions de production et de consommation du Royaume de Saxe, 1856), l’enrichissement relatif des ménages entraîne un déplacement de la demande de ces derniers vers des « biens supérieurs » jugés plus accomplissants, dont les services font notamment partie.
Enfin, les transferts de population active s’expliquent aussi par la hausse de la productivité. Conformément à la théorie du déversement d’Alfred SAUVY (La Machine et le Chômage, 1981), le progrès technique et les forts gains de productivité qui en découlent dans l’industrie sont responsables d’un déversement des travailleurs de l’industrie vers les services. Jean FOURASTIÉ (La ruée tertiaire, 1989) annonçait ainsi une « ruée tertiaire » pour la fin du siècle et le début du XXIe siècle.
Les services publics dans les PDEM
La montée en puissance du tertiaire est étroitement liée à celle de l’État-providence et des services publics. En France, les deux meilleurs exemples sont probablement la mise en place de la Sécurité sociale (ordonnances des 4 et 19 octobre 1945) et le développement de l’Éducation nationale[1].
Le poids des dépenses publiques a par conséquent considérablement augmenté : il est passé de 11 % du PIB en 1872, à 33 % en 1920, 44 % en 1975 et 57 % en 2014. Aux États-Unis, il est passé d’environ 3 % en 1900, à 20 % en 1930, 30 % à la fin des années 1960 et 38 % en 2014. Avec la fin des Trente Glorieuses, les budgets publics des PDEM sont systématiquement déficitaires.
Ainsi, le développement du rôle de l’État au XXe siècle semble confirmer l’analyse d’Adolph WAGNER (Fondements de l’Économie politique, 1876) : « des comparaisons dans l’Histoire et dans l’espace montrent chez les peuples civilisés en voie de progrès un développement régulier de l’activité de l’État et de l’activité publique ». Autrement dit, « plus la société se civilise, plus l’État est dispendieux » : tel est l’énoncé de la fameuse loi de WAGNER : la combinaison d'un pouvoir d'achat en retard et d'habitudes de consommation inertes fait que l'économie de chaque pays est menacée de surproduction structurelle, c’est-à-dire que la demande ne suit pas l’offre ; pour éviter cela, l'État doit soutenir la demande, soit assurer une distribution systématique de revenus en créant un système de sécurité sociale et en embauchant des fonctionnaires.
[1] Depuis 1945, le nombre total d’élèves est passé de 5 à 15 millions à l’heure actuelle, et le nombre d’enseignants a évolué en proportion (840 000 en 2015).