XXe siècle : du chômage au plein emploi, du plein emploi au chômage de masse
Ceci est un article issu de livre L'essentiel de l'histoire économique publié en 2017 par Arnaud Labossiere.
Le chômage des années 1930 et les crises politiques
La crise des années 1930 entraîne une forte hausse du chômage dans le monde : sont ainsi atteints des taux de chômage de l’ordre de 33 % en Allemagne et 25 % aux États-Unis en 1933.
Ce chômage de masse donne lieu à une controverse théorique entre les courants classique et néoclassique d’une part, et les keynésiens d’autre part. Pour les premiers, qui avaient, en vertu de la loi de SAY, rejeté la possibilité d’une crise profonde et durable, ce chômage serait dû à des rigidités sur le marché du travail (notamment à cause des réglementations et des syndicats). C’est par exemple le point de vue de Jacques RUEFF (L’assurance chômage : cause du chômage permanent, 1931). Pour les keynésiens, en revanche, le marché du travail, à l’instar de tous les autres marchés, ne parvient pas à s’autoréguler.
C’est à cette époque que J. M. KEYNES encourage l’inter-ventionnisme public pour relancer l’activité à travers des politiques budgétaires (théoriquement fondées sur le mécanisme du multiplicateur d’investissement) et monétaires. Aux États-Unis, F. D. ROOSEVELT renonce en 1933 au dogme de l’équilibre budgétaire et à l’attentisme (reproché à HOOVER, son prédécesseur à la Maison-Blanche[1]), et il mène la politique du New Deal visant à relancer l’activité et créer des emplois pour les chômeurs américains, grâce à de grands travaux, par exemple dans le cadre de la Tennessee Valley Authority. Entre 1933 et 1936, par conséquent, le déficit budgétaire est multiplié par trois, atteignant les trois milliards de dollars.
Dans l’après-guerre : objectif plein emploi
Dans l’immédiat après-guerre, le plein emploi devient un objectif officiel de la politique économique (comme aux États-Unis avec l’Employment Act de 1946). Le but sera atteint par les pays industrialisés pendant les Trente Glorieuses.
MARCHAND et THELOT parlent en effet d’une « véritable période de plein emploi, voire de suremploi » (Le travail en France 1800-2000, 2000). Pendant cette période faste, l’emploi salarié stable est la norme : 80 % des salariés ont un CDI à temps complet. Le chômage est exceptionnellement bas. Dans la mesure où il oscille autour de 3 % de la population active (soit environ le taux du chômage résiduel, dû aux changements d’emploi), on peut légitimement parler de « plein emploi ». Ce fort taux d’activité renforce le pouvoir de négociation des employés face aux entreprises quant au partage des gains de productivité.
Une très nette amélioration de la condition ouvrière
En 1936, déjà, le Front populaire avait sensiblement amélioré la condition des ouvriers français dans le cadre des accords de Matignon : premiers congés payés, semaine de 40 heures, et généralisation des conventions collectives. Dans l’après-guerre, le SMIG (1950), devenu le SMIC (1970), fixe un salaire minimum. Les lois AUROUX (du nom du ministre du Travail, Jean AUROUX) de 1982 modifient en profondeur le droit du travail, notamment en créant les comités d’hygiène, de sécurité et de conditions de travail (CHSCT). En Allemagne, le système de la « cogestion qualifiée » donne aux salariés leur mot à dire dans le management de leur entreprise.
À partir des années 1970, le plein emploi cesse d’être un acquis
La crise engendrée par les chocs pétroliers met en échec les politiques de relance (celle du gouvernement Mauroy de 1982 en est un symbole). Le plein emploi cesse donc d’être un acquis, tant s’en faut. Le taux de chômage s’envole à 10 % en 1985, et la barre des trois millions de chômeurs est dépassée en 1993. François MITTERRAND déclare alors que « dans la lutte contre le chômage, on a tout essayé ».
Comme l’écrit Daniel COHEN, « la peur a brutalement changé de camp » à partir des années 1970. En effet, les délocalisations, puis la désindustrialisation menacent désormais l’emploi dans les PDEM. La France a par exemple perdu 2 millions d’emplois industriels depuis 1980.
Les mutations des politiques de l’emploi
Les gouvernements des PDEM font des allers-retours entre des politiques de l’emploi « passives », visant à indemniser le chômage, et des politiques « actives », focalisées sur le retour dans l’emploi. La relance CHIRAC de 1974-76, ou les emplois jeunes qui ont créé 300 000 emplois depuis 1997 sont par exemple des politiques actives, tandis que l’abaissement de l’âge de la retraite (de 65 à 60 ans en France en 1982), ou les 35 heures mises en place en France à partir de 2000 constituent pour leur part des politiques passives.
La mutation est aussi quantitative : elle concerne le budget alloué à ces politiques, qui passe de 1 % du PIB dans les années 1970 à plus de 4 % au milieu des années 2000.
De nouvelles formes d’organisation du travail (NFOT) ainsi que des formes atypiques se développent
En parallèle de la tertiarisation de l’économie et de l’appari-tion de nouvelles formes d’organisation du travail (cf. le chapitre L’entreprise) se développent les formes atypiques d’emplois (intérim, temps partiel contraint, etc.) : elles concernent 4 % des actifs en 1974, puis 12 % en 2010. Pour Peter AUER et Bernard GAZIER (L’introuvable sécurité de l’emploi, 2006), si ces emplois atypiques ne sont certes pas toujours, à les considérer au cas par cas, synonymes de précarité, ils sont toutefois symptomatiques de l’entrée dans l’ère de « l’insécurité de l’emploi ».
La crise du syndicalisme
En 1968, le syndicalisme avait le vent en poupe, car il obtenait grâce aux accords de Grenelle le droit pour tout grand syndicat de nommer dans une entreprise son délégué syndical qui devenait un salarié protégé. Une vingtaine d’années plus tard, la tendance a changé et les syndicats entrent en crise dans de nombreux pays. L’historien Pierre ROSANVALLON (La question syndicale, 1987) voit deux dimensions au sein du phénomène : il s’agit pour lui à la fois d’une crise d’efficacité et d’une crise de légitimité des syndicats français.
En Grande-Bretagne, le pouvoir syndical est sérieusement ébranlé sous Margaret THATCHER par l’interdiction progressive du closed shop (l’obligation pour un employeur d’embaucher un individu syndiqué) à partir de 1980, ou encore avec l’échec de la grande grève des mineurs de 1984-85. Dans d’autres nombreux pays, les taux de syndicalisation se réduisent comme peau de chagrin. Ainsi, le taux français est passé de 15 % en 1975 à environ 8 % actuellement.
[1] Il est en effet resté célèbre pour avoir prononcé la phrase suivante : « La prospérité est au coin de la rue ».