Systèmes éducatifs, inventions et savants au XIXe siècle
Ceci est un article issu de livre L'essentiel de l'histoire économique publié en 2017 par Arnaud Labossiere.
Une mission publique
La puissance publique a acquis très tôt la responsabilité de l’enseignement et de l’instruction du peuple.
Cette conception était déjà présente chez CONDORCET, pour lequel l’individu ne peut devenir citoyen qu’une fois un certain niveau d’instruction atteint. Dans Sur la nécessité de l’Instruction publique (1792), il affirme que « dire que le peuple en sait assez s’il sait vouloir être libre, c’est avouer qu’on veut le tromper pour s’en rendre maître ». Dans cette perspective, l’instruction publique répond à deux problématiques : le respect des droits fondamentaux du citoyen, et la diffusion de la connaissance.
Cette dernière est un héritage des Lumières, et tout particulièrement du projet de l'Encyclopédie de DIDEROT, ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers. Il s’agit d’une tentative de rassemblement, de production et de diffusion de la connaissance à une grande échelle. En effet, près de 60 000 articles ont été publiés dans 17 volumes entre 1751 et 1772.
On peut citer parmi les mesures célèbres prises en faveur du développement de l’instruction publique :
- la loi GUIZOT de 1833 sur « l'instruction publique et la liberté de l'enseignement » qui met en place une instruction primaire (même si elle est réservée aux garçons et que son application est laissée à la discrétion des communes) ;
- la loi FALLOUX de 1850 qui en élargit le champ d’action, notamment à l’instruction des filles ;
- les lois FERRY (1881-1882) qui instaurent l’école laïque, gratuite et obligatoire, avec laquelle les instructeurs, ces « hussards noirs de la République » deviennent des figures incontournables.
L’apparition des grandes écoles françaises et la diffusion des connaissances
La France a une longue tradition de formation de ses élites. Certaines de ses « grandes écoles » sont ainsi vieilles de plusieurs siècles. L’École nationale des ponts et chaussées date par exemple de 1747 ; l’École polytechnique a été créée lors de la Révolution, en 1794, puis militarisée par Napoléon. L’École centrale sera fondée en 1829 et servira de modèle à la création du fameux Massachussets Institute of Technology (MIT) américain (1861).
Lors de la révolution industrielle, cependant, la France rattrape son retard sur l’Angleterre en « important » les connaissances développées par les Anglais. Par exemple, le gouvernement français fait venir John KAY (l’inventeur de la navette volante en 1733) en 1749, grâce à 3 000 livres de dons et une pension annuelle de 2 500 livres, pour qu’il aille partager son expertise dans les entreprises textiles de la Normandie afin de moderniser l’outil productif.
L’Angleterre voit toutefois d’un mauvais œil la diffusion de son savoir dans le reste de l’Europe, car son avance scientifique et technologique lui assure une avance économique. Un siècle plus tard, POSNER (1961) mettra en avant la notion d’« avantage technologique » comme fondement de la compétitivité et de la spécialisation d’une économie nationale. Lors du traité de libre-échange franco-anglais de 1786, par exemple, l’Angleterre prend bien soin d’interdire l’exportation de ses machines et l’émigration de ses ouvriers qualifiés.
La France a elle aussi diffusé des connaissances en Europe continentale. Comme le rappelle CAMERON (1961) dans ses travaux historiques : « Les Français ont joué un rôle en important, élargissant, adaptant et transmettant au reste de l’Europe les éléments fondamentaux de la révolution économique ». L’ingénieur des Mines Frédéric LE PLAY a par exemple organisé les mines de charbon du Donetz et de l’Oural à la demande du Tsar. Le Japon a lui fait du français Louis-Émile BERTIN (ingénieur naval) le conseiller personnel de l’Empereur, pour veiller au développement des usines et à la mise en place d’un télégraphe. Ce type d’aide de savants étrangers propulsera le Japon dans l’ère industrielle.
Sur le plan théorique, le processus d’innovation se caractérise pour SCHUMPETER par deux types d’acteurs : les innovateurs et les imitateurs. Les premiers bénéficient d’une rente d’innovation que les seconds cherchent à capter. À l’échelle internationale, GERSCHENKRON (Economic Backwardness in Historical Perspective, 1962) a montré qu’en l’absence d’une classe d’entrepreneurs innovateurs, c’est à l’État d’importer les connaissances et donc de mettre en place une stratégie d’imitation des techniques et des technologies des pays plus avancés.
Une bureaucratie efficace et méritocratique
À partir du XVIIIe siècle, les progrès de la connaissance scientifique permettent d’expliquer les phénomènes autrement que par la religion, une évolution que Max WEBER qualifie de « désenchantement du monde ». La rationalité est de plus en plus identifiée comme le moteur des actions humaines.
WEBER (Économie et société, 1921) voit dans la « bureaucratie » l’incarnation de cette rationalité. Elle est en effet un mode d’organisation efficace et rationnel[1]. Les règles y sont claires, et la compétence y est la source du pouvoir. Les bureaucrates sont censés être plus efficaces que des personnes nommées du fait de leur tradition ou de leur appartenance sociale (comme dans la société d’Ancien Régime). Comme la bureaucratie repose sur une formation, son existence présuppose la mise en place d’un système éducatif efficace et adapté.
Un siècle avant WEBER, SAINT-SIMON (L’Organisateur, 1819) avait déjà songé à une gestion technocratique de la nation par des spécialistes, « les 3 000 premiers savants, artistes et artisans », dont le savoir et la créativité étaient à ses yeux le gage d’une gestion efficace. La pensée saint-simonienne a eu une influence significative sur ses contemporains. Comme le rappelle François PERROUX (Industrie et création collective, 1964), le Crédit mobilier (une des premières banques modernes) fut fondé en 1852 par des saint-simoniens ; de même, la construction du réseau ferroviaire français le fut aussi. La doctrine de SAINT-SIMON allait à l’encontre d’une forme d’inertie : « la grande bourgeoisie eut énormément gagné à penser un peu plus et à disposer sur le monde des affaires d’une vue moins myope » ironise à ce propos Jean LHOMME dans La grande bourgeoisie au pouvoir [1830-1880] (1960).
[1] La bureaucratie n’a donc pas toujours été synonyme d’inefficacité. En sociologie, cependant, les travaux de Michel CROZIER (Le phénomène bureaucratique, 1963) ont contredit l’optimisme de WEBER. Pour le Français, en effet, la bureaucratie développe des règles qui deviennent contre-productives et entravent toute velléité de changement.